Tribune

L’App « Stop Covid », une panacée fantasmée



Dans la lutte contre la pandémie, le plus important est que l’État mette en oeuvre du matériel de base pour ses citoyens et, en premier lieu, pour le personnel soignant ainsi qu’une mise en quarantaine des personnes testées positives avec la logistique associée. En complément, le Gouvernement a confirmé son projet de développement d’une application sur téléphone mobile. Son objet est de conserver la trace des personnes croisées lors des derniers jours. Ceci permettrait de prévenir les personnes ayant été ou étant en interaction avec un individu déclaré positif au Covid-19. Entre utilité pour sauver des vies à l’exemple de Singapour et un pas vers la cybersurveillance menaçant nos libertés individuelles, les Français ont des avis divergents.


Regardons les points positifs.

L’intention de prévenir et de déceler les malades est louable pour éviter toute progression de la pandémie. Selon les premières informations rendues publiques, la technologie utilisée serait le Bluetooth et non le GPS. L’application serait téléchargeable sur la base du volontariat et pourrait être désinstallée à la discrétion des utilisateurs, mais avec une forte incitation gouvernementale néanmoins. Le fait que le développement soit en privacy by design avec une absence de données remontées vers un système d’information central et que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) soit informée sont de bon augure dans la recherche de la préservation de la confidentialité des données personnelles. Il est aussi indiqué que les données seraient anonymisées. Ainsi, le RGPD ne s’appliquerait plus. Tout ceci est séduisant si cela reste provisoire et qu’il n’existe pas de détournement de la finalité initiale. Si le gouvernement ne proposait pas d’application, des acteurs comme Apple ou Google pourraient en proposer à sa place. Du reste, il aurait peut-être été utile que l’État s’appuie sur un écosystème de start-up françaises dans l’univers de la e-santé, très en amont, avec une mise en concurrence stimulante de nature à optimiser les investissements étatiques. Ce peut être aussi pour le Gouvernement l’occasion d’empêcher des entreprises américaines comme Palantir de s’accaparer ce marché, ce qui nous rendrait davantage assujettis aux GAFAM dans la poursuite de la colonisation numérique de la France par les États-Unis. La question de la souveraineté numérique revient en effet dans les débats en cette période de confinement. Concrètement, le local, le bio et le « de saison » pour les fruits et légumes se déclinent respectivement côté numérique en souveraineté, prise en compte des données personnelles et optimisation de la consommation énergétique par exemple.

Néanmoins, il existe de nombreux points négatifs ou d’interrogations.

Tout d’abord, il est à craindre que cette « App » crée une jurisprudence défavorable aux citoyens avec « du provisoire qui dure » ou que, pour d’autres motifs dans le futur, il soit de coutume de cybersurveiller les citoyens, ce qui pourrait devenir problématique. Dans toute démocratie, ces mesures se doivent d’être temporaires car les données peuvent être révélatrices de nos échanges et de nos modes de vies. Les libertés individuelles durement gagnées ne doivent pas être sacrifiées. On pourra certes opposer que sans application, la liberté de circuler a déjà été mise à mal avec le confinement (déplacement à moins d’un km de son domicile et pour un maximum d’une heure pour l’activité physique par exemple). Notons que dans un autre registre le suivi accru n’a pas empêché le terrorisme comme l’usage de caméras de surveillance dans la ville de Nice. D’autre part, l’application arrive tardivement alors que le coronavirus s’est massivement installé dans la population et que les chiffres sont sous-estimés du fait, entre autres, des personnes asymptomatiques. Il est par ailleurs indispensable d’avoir une destruction des données collectées. En outre, est-ce que l’application développée à la hâte ne comporte pas de failles de sécurité ? Une combinaison du Bluetooth et du GPS comme en Corée du Sud permettrait, d’une part, de détecter à proximité les personnes atteintes du Covid-19 et, d’autre part, d’établir des statistiques pour le suivi de la pandémie par zone géographique par exemple. Enfin, comme pour toute introduction de technologie, des questions humaines à ne pas sous-estimer émergent tel l’effet psychologique anxiogène de recevoir une notification a posteriori, et non en temps réel, du croisement d’un individu positif au Covid-19. Mais aussi la peur de l’inconnu près de soi, dans les transports en commun par exemple.

De nombreuses inconnues demeurent

D’autres questions se posent comme le fait de confier sa vie privée potentiellement à l’État ou aux GAFAM, lesquels ont dans de nombreux domaines plus de poids que les États eux-mêmes. D’ailleurs, le 10 avril a été annoncée une coopération entre Apple et Google pour la lutte contre le Covid-19. Le but est de tracer les contacts, en sachant que les systèmes d’exploitation des téléphones mobiles sont différents (iOS et Android), ce qui suppose une interopérabilité à rechercher. Les questions qui se posent sont les garanties apportées pour la transparence, la durée de conservation des données, leur lieu de stockage et même le statut juridique (les données Bluetooth n’ont pas forcément le même statut juridique que celles de géolocalisation).

Globalement, sous couvert de la peur du risque pandémique qui peut parfois devenir irrationnel, le Gouvernement cherche à imposer cette « App Stop Covid ». Celle-ci est développée rapidement avec un cahier des charges appelé à évoluer. La question du bénéfice réel reste posée sachant que des sommes importantes sont dépensées pour une application facultative, ce qui limite de facto son efficacité. Va-t-elle sauver des vies et dans quelle proportion, des simulations ont-elles été faites ? Un PoC (proof of concept) est-il prévu avant généralisation et auprès de qui ? Pourquoi ne pas signaler les porteurs sains ? Elle amène à apprendre en marchant dans la précipitation. Certes, les données sont cruciales en temps « de guerre », mais est-ce qu’elles vont permettre de sauver des contaminations et permettre de gagner plusieurs jours de confinement ? De surcroît, le recours au terme de « guerre », impropre, n’est-il pas là pour justifier des mesures d’exception venant limiter les libertés individuelles s’effaçant devant l’impérieux intérêt collectif ?

« L’App » sera ce que les citoyens en feront. Mais, pour qu’elle soit vraiment efficace, il faudrait qu’un seuil d’utilisateurs conséquent soit atteint, typiquement 40 à 60 % de la population. Or, outre son caractère facultatif, certains n’ont pas de téléphones mobiles et les plus exposés au Covid-19, les seniors, sont moins bien dotés dans les technologies et les usages associés. La fracture numérique, facteur d’inégalité, demeure forte en France.

« Stop Covid », l’arbre qui cache la forêt du retard français dans la lutte face au Covid-19 : masques et tests

Le véritable problème est celui des masques efficaces en abondance et des tests massifs comme en Allemagne. Progressivement, partout dans la société, la demande est formulée comme récemment par le P-DG de la SNCF qui a exigé des masques dès la fin du confinement pour l’ensemble des voyageurs. Ces carences ont amené à prolonger le confinement en France alors que plusieurs de nos voisins européens peuvent déconfiner plus vite et ainsi moins détruire d’emplois synonyme de crise et de drames sociaux en aval pour beaucoup de citoyens. En effet, « Stop Covid » est un outil qui doit s’inscrire dans une approche globale de déconfinement progressif et sélectif comme l’a défini le Docteur Guy-André Pelouze, conseiller Santé à Objectif France. Cette approche est basée sur des tests massifs et des équipements de protection en nombre suffisant, prioritairement au profit des populations à risque et indispensables à la vie de la Nation (entreprises et services de l’État essentiels), le tout suivi de mises en quarantaine effectives.

Une anticipation dès janvier, une meilleure utilisation des moyens avec un back office administratif moins dispendieux (à l’image des agences régionales de santé (ARS) dont la plus-value est très relative au cours de cette crise), des messages moins contradictoires du Chef de l’État et du Gouvernement auraient permis de ne pas étioler la confiance des citoyens et de limiter un drame tant humain qu’économique. Dans ce contexte, « l’App Stop Covid » peut constituer un complément, mais force est de reconnaître que cette cerise sur un gâteau déliquescent arrive tardivement… à moins qu’il s’agisse de se préparer à une pandémie future !

Une prochaine étape dans le monde d’après serait un État-plateforme comme il en existe en Estonie. Cela nécessiterait de remettre à plat les processus, de « désiloter » les services, de supprimer les doublons, de poser la question des missions et du sens de chacun et ainsi de reconstruire un État agile pour le bien-être des citoyens à meilleur coût.

David Fayon
Responsable du Comité Numérique et Intelligence économique d’Objectif France