Le bon sens de Jean de La Fontaine au secours de nos finances publiques

Dans le contexte d’un Etat qui tend invariablement vers la faillite depuis quarante ans, Stéphane Morel, responsable du comité « Réforme de l’Etat » d’Objectif France, nous rappelle au bon sens et aux fondamentaux posés par La Fontaine et les économistes « fondateurs » que sont John Maynard Keynes et David Ricardo.
Les banques centrales mènent des politiques monétaires accommodantes. C’est ce qu’on appelle le Quantitative Easing ou QE qui consiste à « prêter » aux Etats pour combler leurs déficits budgétaires (sous la forme de rachat des obligations qu’ils émettent) avec des faibles taux d'intérêt, voire même maintenant des taux négatifs. Mais attention : en cas de remontée des taux d'intérêt, le montant des sommes à rembourser va également augmenter.
Le président Macron à la tête d’un Etat surendetté (en « faillite » avait osé déclaré François Fillon) s'adresse aux autorités de Bruxelles pour leur « assurer » que la France va revenir sur le sentier vertueux de l’équilibre budgétaire ou, à tout le moins, qu’elle n’ira pas au-delà des déficits autorisés.
Pour faire patienter Bruxelles, le gouvernement français donne des gages en augmentant la pression fiscale sur les entreprises et les ménages solvables pour rester en-dessous du niveau de déficit autorisé (les fameux 3 % du PIB à ne pas dépasser). Édouard Philippe rassure les Français en leur garantissant que, si le rythme de la baisse des impôts connaît une pause (ce qui, traduit de la langue énarchique, signifie que les baisses d’impôts promises n’auront pas lieu), l’allègement de la contrainte fiscale demeure un objectif prioritaire du gouvernement (ce qui, toujours traduit de la langue énarchique, veut dire que la baisse des impôts est renvoyée aux calendes grecques).
Mais les entreprises comme les ménages appliquant la théorie de l'équivalence ricardienne, comme M. Jourdain faisait de la prose, c'est-à-dire « sans le savoir », ils « anticipent » une hausse des impôts futurs du fait de l'augmentation actuelle des dépenses publiques.
La théorie de l’équivalence ricardienne
La théorie de l’équivalence ricardienne repose sur l’idée que les emprunts contractés aujourd’hui par les administrations publiques devront un jour être remboursés et sont donc équivalents à de futurs impôts. Dans ces conditions, si l’Etat augmente son déficit en baissant les impôts ou en accroissant les dépenses publiques, les ménages (ou les entreprises à travers leurs actionnaires) anticipent que les impôts augmenteront dans le futur pour rembourser ce supplément de dette publique. Ils vont donc constituer dès à présent une « épargne de précaution » pour payer ces futurs impôts. L’épargne privée de précaution ainsi constituée est, selon cette théorie, égale à l’augmentation du déficit public. Les ménages ne consomment donc pas plus et les entreprises n’investissent plus lorsque le déficit public s’accroît, si bien que le « multiplicateur keynésien » est nul. La politique budgétaire n’a donc aucun effet sur l’activité économique .
En clair, ils préfèrent épargner que dépenser pour faire face à la hausse future des impôts. Cette épargne tend d’ailleurs à se loger dans les placements dits sans risques (par exemple la pierre d’où une montée des prix de l’immobilier dans les villes à forte demande comme Paris). Les Français se méfient en effet de plus en plus des placements financiers. Et on peut difficilement leur donner tort. Depuis 2008 et la crise des subprimes , l’évolution des cours de bourse est en effet de moins en moins « corrélée » à l’économie réelle et donc « compréhensible ». Le comportement des agents économiques (ou des algorithmes) est, dès lors, de plus en plus irrationnel.
Si les Français (ceux qui le peuvent) épargnent, c’est qu’ils ne sont pas dupes. On se souvient du tonitruant « mais qu’est-ce que pouvez bien faire de tout ce pognon ! » de Jacqueline Mouraud qui avait fait le « buzz » sur les réseaux sociaux et contribué au lancement du mouvement des gilets jaunes. Ce n’est pas la première fois pourtant que la révolte fiscale gronde dans notre pays. Les Français, qui ont dans leurs gènes le bon sens paysan (stocker du foin l’été pour nourrir les bêtes l’hiver), se demandent en effet pourquoi, quand il y avait de la croissance économique et donc un accroissement des recettes fiscales, l'Etat n'en n'a pas profité pour réduire les déficits publics.
Ce qui s’appelle pour un Etat faire jouer les « stabilisateurs automatiques », c’est à dire laisser « filer les déficits » en période de sous-activité pour relancer la croissance sachant que, lorsque la croissance est repartie, l’Etat « profite » des recettes fiscales supplémentaires pour réduire les déficits créés initialement. Mais l’expérience a montré qu’en période de croissance, les gouvernements n’appliquaient pas les stabilisateurs automatiques, c'est-à-dire ne baissaient pas les dépenses publiques ni les impôts. Ayant intégré dans leur raisonnement cette imprévoyance de l’Etat, les agents économiques mettent de côté en épargnant le surcroît de revenu né de la croissance.
Depuis 1975, chaque année, la France, telle une cigale, enregistre un déficit budgétaire. Alors que, dans les années où il y avait de la croissance, les gouvernements auraient dû faire jouer les stabilisateurs automatiques en diminuant les dépenses publiques et les taux d’imposition, ils ne l’ont pas fait. La France a donc continué à s’endetter. C’est cette accumulation des déficits qui explique le niveau d'endettement actuel de notre pays, soit plus de 2000 Md€, c'est-à-dire 100 % du « produit intérieur brut » ou PIB, soit la richesse produite chaque année par l’ensemble des Français.
Désormais, il faut d'une façon ou d'une autre rembourser la montagne de dettes que la France a accumulé. Si encore cette dette avait correspondu à des investissements productifs ou servi à préparer notre pays aux menaces futures (la transition écologique pour faire face aux conséquences des changements climatiques, l’équipement de nos armées pour faire face à l'accroissement des menaces extérieures, l’investissement dans l’intelligence artificielle pour affronter les défis de l’économie de la connaissance, etc.). Mais ce n’est pas le choix qui a été retenu. Le choix des gouvernements, de droite et de gauche depuis 40 ans, a été de pratiquer des politiques de cigales inconséquentes. Les prélèvements opérés sur la richesse nationale l’ont été pour alimenter des dépenses de fonctionnement irréfléchies. La liste en est si longue qu’un almanach à la Prévert n’y suffirait pas. Pour apprécier l’étendue du désastre, nous renvoyons le lecteur (âmes sensibles s’abstenir) à la lecture des rapports publics remis chaque année par le Premier président de la Cour des Comptes aux présidents de la République successifs. En bref, à trop être vorace l’Etat est devenu obèse.
Et alors que le monde dans lequel nous entrons appelle comme qualité principale l’agilité et le sens de l’anticipation, l’Etat est devenu impotent et aveugle. Pire, ses élites, tétanisées par les enjeux, reculent devant chaque réforme importante. Sully, Richelieu, Colbert, Mendès France et tant d’autres doivent se retourner dans leur tombe.
Alors, pour épargner à nos enfants et nos petits-enfants de rembourser sans fin les dettes que nous avons accumulées, il faut, le plus vite et le plus massivement possible, supprimer au sein du Back-Office les structures et les dépenses inutiles liées à l’enchevêtrement des compétences (soit clarifier le « qui fait quoi » en ne séparant jamais le décideur du payeur) et cela sans toucher au Front-Office, c'est-à-dire aux fonctionnaires qui, sur le terrain, rendent aux Français les services qui leur sont indispensables (sécurité, éducation, santé, etc.).
Le Back-Office et le Front-Office dans l’administration
Le Back-Office est, dans une salle de marchés, chargé de la gestion administrative des activités : contrôle des transactions effectuées par le Front-Office, évaluation des provisions, contrôle des gains et pertes, contrôle des échéances à venir, comptabilité, rapport d'activité. Le Front-Office rassemble les opérateurs (traders, commerciaux de produits d'investissement, etc.) qui transmettent des ordres d’achats et de ventes sur le marché des actifs (produits financiers, matières premières, etc.). En spéculant à la hausse ou à la baisse sur le prix de ces actifs, ils cherchent à maximiser leur profit pour le compte de leurs clients. Par analogie, le comité réforme de l’Etat d’Objectif France a décidé d’appliquer cette clé de répartition aux administrations publiques afin de distinguer en leur sein les structures qui, sur le terrain, remplissent des missions de service public clairement identifiables (le Front-Office ou « administration de terrain ») et les structures chargées de la coordination, du soutien et de l’évaluation de ces actions (le Back-Office ou « administration de bureau »). L’idée qui prévaut est que l’essentiel des 100 Md€ d’économies budgétaires qu’Objectif France se propose de réaliser pour réaffecter ces sommes au redressement du pays peut être effectué sans que le niveau de service rendu aux usagers sur le terrain soit réduit. Pourquoi ? Parce que de par leur nature, les fonctions accomplies par le Back-Office (gestion des ressources humaines, gestion comptable et financière, gestion du patrimoine immobilier, recueil de données et analyse des politiques publiques, etc.) peuvent être massivement simplifiées puis dématérialisées et prises en charge au travers des nouvelles technologies, et tout particulièrement l’intelligence artificielle . Cette démarche vise à éviter la technique du « rabot » consistant à réduire de manière indifférenciée les budgets et les emplois (calculés en « équivalent temps plein » ou ETP). Elle suppose au préalable une redéfinition du périmètre des interventions de la puissance publique au sens large (ministères, services déconcentrés, collectivités locales, hôpitaux, Sécurité sociale). C’est pourquoi le comité réforme de l’Etat travaille en liaison étroite avec le pôle économie et le pôle intelligence artificielle d’Objectif France.
Ce désendettement public est une impérieuse nécessité pour retrouver des marges de manœuvre. Il nous faut sortir notre pays du piège mortel de l'endettement. Cela doit être fait de façon méthodique et ordonnée. Plus le comité de la réforme de l'État d'Objectif France y travaille et plus un double constat s’impose à lui.
Premier constat : la France est au bord du gouffre financier et donc de la perte de sa souveraineté sur fond de chaos social. Deuxième constat : cela n’est pas la première fois que la France à un genou à terre. Qui ne se souvient qu’en 1420, la France n'existait plus, le roi fou Charles VI et sa femme Isabeau de Bavière ayant déshérité leur fils Charles au profit du roi d'Angleterre. Et qui peut oublier, cinq siècles plus tard, ces huit à dix millions de civils fuyant sur les routes devant l’avancée des troupes allemandes, mélangés aux colonnes de soldats en retraite, errant parfois sans but, dans l’anarchie la plus totale. Là aussi, une nouvelle fois abandonnée par la plupart de ses élites, la moitié de son territoire occupé, la France aurait pu sombrer. Mais c’était sans compter le courage et la lucidité de l’un de ses fils, Charles de Gaulle… Au-delà de ces deux faits d’armes héroïques, l’histoire multiséculaire de la France et les soubresauts sont là pour témoigner que, de Bayonne à Strasbourg, de Marseille à Lille ou de Brest à Nice, la France a toujours puisé dans ses tréfonds les moyens de son sursaut et réussi à donner corps au proverbe « impossible n'est pas français ».
Stéphane Morel Responsable du comité réforme de l’Etat d’Objectif France