Tribune

« Mais où passent nos impôts ? »



C’est un des mystères, des secrets les mieux préservés de France. Il ne s’agit pas du vaccin contre le COVID-19, ou des codes nucléaires. Mais bien plus prosaïquement de la destination de nos impôts.


La première remarque sera une réflexion d’étonnement ; par quel miracle n’a-t-on jamais réussi à répondre à cette question ? Comment a-t-on pu continuer cette marche en avant, sans s’interroger ? Fallait-il un arrêt brutal du système pour se questionner ? Est-ce que seulement ce débat va se poser ?

Tout d’abord, le constat

Le constat est précis, documenté. La France est le pays où l’on paie le plus d’impôts au monde. C’est l’OCDE qui le dit. Avec un taux de prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales) de 46% en 2018, nous battons tous les records.

Ce n’est pas un jugement, c’est un constat. Il ne s’agit pas ici de “détruire notre modèle” ou de le “célébrer”, mais bien de voir ce qui fonctionne et ce qui ne tourne pas rond. Où vont ces impôts ?

En 2017, le Produit Intérieur Brut (PIB) s’élevait à 2291 Milliards €. La même année, les dépenses publiques représentaient 56,5% de cette richesse créée.

Et pourtant. Sous nos yeux, nos structures hospitalières s’effondrent. Nos armées, notre police et notre justice n’ont pas les moyens suffisants pour assurer leurs missions. Nos professeurs sont sous-payés. Nos investissements stratégiques dans l’avenir (recherche, transition énergétique) sont limités, c’est un euphémisme.

Comment peut-on être si pauvres en étant si riches ?

Une question soigneusement évitée

En réalité, plusieurs réflexes politiques ont avec le temps mis de côté la question de la destination de nos impôts.

D’un côté, certains aiment réclamer à ce que des personnes paient d’avantage d’impôt (et de préférence les plus riches), c’est le seul combat qui vaille. L’évasion fiscale et ses chiffres rocambolesques. Parce qu’il n’y a pas de paradis fiscaux sans enfers fiscaux.

Partons du principe que l’évasion fiscale représenterait 100 milliards € (fiction). A quoi serviraient 100 milliards € supplémentaires puisque nous sommes incapables de bien utiliser les 1200 milliards d’€ que nous dépensons actuellement ? Il est toujours plus facile de demander “plus d’argent” pour éviter d’avoir à regarder en face l’utilisation que nous en faisons. Quand le sage montre la lune…

De l’autre côté, on crie sur tous les toits qu’il faut “réduire nos dépenses publiques”, “redresser nos finances”, tout ça pour au final continuer à dépenser toujours plus, sans aucun choix stratégique. Ces incantations sans aucun travail de fond, confrontées à un principe de réalité, accouchent d’une politique de rabot. C’est la pire de toutes : elle donne l’illusion d’agir,

Le rabot, c’est rogner sur tous les budgets. C’est détruire un stock stratégique de masques pour économiser quelques millions d’€. C’est annoncer une baisse des dépenses publiques quand on ne fait que ralentir la hausse. La politique du rabot est inefficace, stigmatisante pour les fonctionnaires qui sont perçus comme des variables d’ajustement. Surtout, elle ne change fondamentalement rien à la structure de notre dépense, aux choix stratégiques qui devraient en résulter, pour renforcer le régalien par exemple, ou investir dans l’éducation. La politique de rabot est une politique du non-choix, elle nivelle par le bas.

Où vont nos impôts ?

Ces deux façons de voir l’impôt, son origine et sa destination sont des impasses. Il y a une contradiction majeure entre les montants des impôts payés, et les services délivrés en face. Qui ne s’est pas déjà surpris à comparer le montant brut de sa rémunération, le résultat net une fois déduits tous les impôts et prélèvements, et le coût global supporté par l’employeur?

Nous sommes en 2020, et les temps changent. L’information circule. Il est impensable dans ce contexte qu’une société puisse supporter un tel manque de transparence. Une telle absence de remise en question.

Il faut que le politique rende des comptes sur l’utilisation de l’argent public (et donc de nos impôts !)

Si comparaison n’est pas égale à raison, nous sommes tous les actionnaires de la Maison France, et à ce titre participons à la solidarité par l’impôt. Il est donc naturel que le citoyen puisse être tenu informé de l’utilisation de son argent.

De la même manière qu’il va falloir ouvrir les vannes démocratiques (référendum d’initiative citoyenne…), un débat sur l’utilisation et le contrôle de l’argent public (le nôtre) devra être au coeur du prochain scrutin présidentiel. Des propositions doivent émerger.

C’est le sens par exemple de l’initiative travaillée par Génération Libre qui prône une “consultation budgétaire citoyenne” pour discuter de l’utilisation de nos impôts et mettre le citoyen au coeur du jeu. C’était également le sens de la proposition de Revenu Universel, qui permettrait pour chaque contribuable de mettre en évidence sa contribution à la société, et dans le même temps ce que la société lui apporte.

Il serait temps que l’appareil d’Etat, sous l’impulsion du politique, migre sur ce nouveau logiciel de pensée 2.0. La révolte fiscale post-Covid pourrait faire des étincelles.

Eugène Daronnat
Membre du Comité Exécutif d'Objectif France