Pour soutenir nos retraites, relançons notre natalité qui baisse !

Le débat sur les retraites passe à côté d'un enjeu fondamental : l'évolution de notre démographie, entre vieillissement, besoin de renouvellement des générations et risque de voir le ratio entre actifs et inactifs devenir insoutenable. Or, notre natalité baisse dangereusement, notamment du fait de reculs sur la politique familiale et du déclassement de certains territoires qu'a incarné le mouvement des « Gilets jaunes ». Dans cette tribune, Etienne Le Reun, 20 ans, membre du Conseil stratégique d'Objectif France, et Aurélien Duchêne, 21 ans, Directeur adjoint du Projet d'Objectif France et membre du Comité exécutif, font l'analyse de ce défi démographique et avancent des propositions concrètes pour y répondre.
« Politique de natalité et timidité politique », par Étienne Le Reun
Le système de retraite par répartition est assurément l’incarnation de la solidarité générationnelle française, ambitieuse et exigeante. C’est aussi un système théoriquement parfait où le travail des jeunes finance les vieux jours de leurs aïeux, garantissant un lien aussi bien « fiduciaire » qu’humain entre les générations. Sur le papier, nous en conviendrons, rien à redire concernant la répartition. Certes, quelques ajustements paramétriques ainsi que systémiques et un équilibrage du système seraient bienvenus pour permettre le maintien de sa pérennité et de sa viabilité, et certes, il va probablement falloir que les Français travaillent plus longtemps et que les jeunes s’intéressent à la capitalisation… mais tout cela nous l’avons déjà lu, dit et débattu.
Ce sont ces sujets qui ont cristallisé l’opinion publique, scindant la France en deux « bords », l’un autoproclamé « social et résistant » et l’autre « réformiste et légitimiste », fragmentant encore un peu plus notre pays entre d’inutiles et vaines oppositions. Pourtant, dans ce remue-méninges journalistique et politique, nous nous sommes bien gardés d’aborder la question de fond, celle qui est à l’origine de la réforme des retraites, des mesures avancées et donc des tensions actuelles. Alors que nous nous engagions dans cet emballement frénétique et passionnel dont nous Français avons le secret en matière de politique, nous n’avons pas vu que nous laissions derrière nous l’origine même de notre emballement : la question de la natalité dans notre pays.
Comment est-il possible qu’en presque trois mois de débats, ni le gouvernement, ni l’opposition, ni le monde journalistique n’aient eu l’intelligence et la pertinence d’expliquer calmement que toute réforme, aussi profonde soit-elle, sans relance globale de la natalité au sein de notre pays, ne serait être autre chose qu’un éphémère baroud d’honneur pour note système de retraite ? La force des nombres est ainsi faite que si le renouvellement générationnel poursuit sa lente agonie et qu’en parallèle l’espérance de vie continue de progresser, nous allons très vite être confrontés à un problème structurel qu’un simple report de l’âge de départ et quelques changements paramétriques ne suffiront plus à résoudre.
D’où vient alors cette immunité dont semble aujourd’hui bénéficier la question des naissances ? Serait-ce par crainte que la connotation historique que portent les termes de « politique de natalité » ne déclenche une levée de boucliers anachronique ? Serait-ce parce que nos dirigeants, englués dans la technicité de leurs fonctions et la complexification de leurs discours, n’osent plus s’aventurer à formuler des mots aussi simples et élémentaires qu’« enfants », « naissances » et « grossesses » ? Serait-ce parce que certains ont, malgré eux, intégrés une forme de pessimisme environnemental les empêchant de parler de natalité, préférant s’en remettre à une « immigration rustine » censée sauver le système qu’ils n’osent plus repenser ?
Natalité : de l’incitation économique à la prise en compte du cadre familial
Pourtant, et n’en déplaise à certains, la politique gardera toujours sa dimension démographique et ne saurait se résumer seulement à la modification technocratique de curseurs paramétriques au sein des cabinets ministériels. C’est d’ailleurs peut-être justement ici que réside toute la complexité du problème de la natalité : le rendement des politiques natalistes n’est pas seulement lié à la modification de facteurs économiques incitatifs, mais aussi au reflet du « climat familial et nataliste du pays ».
La relance de la natalité dépend donc d’un environnement propice à l’apparition d’un projet familial se concrétisant par un désir d’enfant et des aides financières adaptées pouvant parfois permettre de sauter la dernière marche dans la concrétisation de ce projet. L’un ne fonctionnant pas sans l’autre : il est vain de penser que de simples aménagements économiques sans une politique et un cadre familial adaptés seraient à même de relancer la natalité dans un pays comme la France. Un désir d’enfant est un sentiment naissant sur du temps long et se nourrissant d’un contexte global sur lequel nous, politiques, ne pouvons qu’essayer d’influer positivement en gardant en tête que nous n’en maîtriserons jamais toutes les subtilités. Ainsi, m’attarderai-je ici simplement au développement de quelques axes pouvant permettre d’améliorer le climat familial et nataliste du pays que nous appellerons « contexte nataliste », laissant avec plaisir à mon acolyte le soin de développer des mesures économiques incitatives accompagnant ce cadre initial.
Voici quelques propositions pour améliorer le cadre nataliste en France.
Au niveau local :
La natalité est un élément nécessaire à la dynamisation des territoires et à la relance de l’activité économique. La crise périphérique que traverse la France devrait, en plus du programme de relance de l’attractivité des territoires ruraux proposé par Objectif France, sérieusement nous amener à nous pencher sur la mise en place d’un plan de relance de la natalité dans ces territoires qui, si rien n’est fait, tendent à devenir des « départements fantômes ». Au niveau cartographique, la tristement célèbre diagonale du vide est particulièrement visible si l’on superpose les données de naissances par département avec celles du vieillissement de la population : une quinzaine de départements sont directement concernés par cette décroissance et ce vieillissement générationnel (Landes, Lot et Garonne, Dordogne, Corrèze, Charente, Haute-Vienne, Creuse, Indre, Cher, Nièvre, Yonne, Meuse, Cantal...) Il est primordial de soutenir la relance démographique et donc économique de ces territoires avec la mise en place d’un contexte nataliste favorable.
Les bénéfices issus de ce ciblage de la politique nataliste seraient multiples. Premièrement, l’étude des résultats de ces politiques sur une échelle territoriale restreinte et plurielle permettra de tirer des conclusions et de faire des comparaisons pour, plus tard, rendre le modèle plus efficient en cas de déploiement national (on rappellera ici que l’étude de l’effectivité des politiques publiques, surtout concernant les politiques natalistes, est tout à fait prioritaire). Le ciblage des efforts dans certains départements est également l’occasion de mener une véritable politique de terrain avec des moyens à la hauteur de nos ambitions tout en s’adaptant aux conjonctures sociales et économiques de la collectivité territoriale concernée.
1 - Ainsi, dans ces départements ciblés, souvent sujet à la précarité, un allègement des charges liées à la natalité(aides pour l’équipement et consommables à destination de l’enfant : poussette, landau, nourriture, équipement maternel…) est envisageable. Ces allègements financiers permettront de ne pas faire de la natalité un poids économique supplémentaire sur les épaules des familles en milieu rural.
2 - Le développement de ces territoires « à politique familiale incitative » favoriserait l’installation de ménages et donc par effet d’entraînement vertueux, en dynamiserait l’économie. On notera également que ces territoires, largement ruraux, bénéficient souvent d’un cadre bien plus adéquat à l’épanouissement d’une vie familiale que les grands centres urbains, il est donc parfaitement cohérent d’en faire des territoires essentiellement familiaux.
3 - Pour autant, il faut le reconnaître, le plus gros frein à la pérennité d’une véritable politique nataliste tient bien à la difficile cohabitation entre la vie de famille et l’activité professionnelle. Il est primordial d’œuvrer à la simplification du cumul de ces deux casquettes. Plus précisément, la charge financière que représentent les modes de garde est aujourd’hui un élément agissant négativement sur la natalité. Ainsi, il serait possible de mettre en place la « gratuité » de la garde d’enfant dans certains territoires ou une aide selon les revenus des ménages concernés. Cette mesure aurait pour effet collatéral, en plus de rendre plus optimale la cohabitation professionnelle et familiale, d’augmenter le nombre de postes concernés par la petite enfance dans ces territoires et donc d’y favoriser la création d’emplois.
4 - En parallèle, il serait bon de revoir le modèle de fonctionnement des crèches et des « garderies » qui aujourd’hui n’ont, pour beaucoup, plus la sympathie et la confiance des ménages français. Certaines familles se tournent donc plus facilement vers des personnes privées (assistantes maternelles, nounous...) pour la garde de leur enfant, autant d’alternatives représentant souvent une charge financière plus importante et n’étant pas toujours la plus optimale (infrastructure, horaires, sociabilisation de l’enfant.). Ainsi, tout en garantissant la liberté des parents de choisir leurs modèles d’accueil, il faudra revoir la structure (aussi bien physique qu’organisationnelle) de ces établissements et moderniser les crèches françaises, perspective s’inscrivant dans la volonté d’Objectif France d’analyse de l’efficience des structures publiques.
5 - Enfin, au niveau rural, il est important de garantir localement aux femmes enceintes un accès simple et de qualité à une médecine générale de proximité à même de répondre à une très large partie des problématiques courantes liées à la grossesse. Cette volonté s’inscrit dans le plan d’Objectif France de développement des services de santé en milieu rural (inciter à l’installation des jeunes généralistes et à la mutualisation de leurs activités au sein des maisons de santé pluridisciplinaires ou MSP.)
Au niveau national :
6 - La France est très en retard concernant l’accompagnement social de la grossesse. Encourager, au niveau national cette fois et dans les métropoles, la création de « maisons de la femme enceinte » comme il en existe déjà dans plusieurs pays nordiques. Ces structures, associatives et soutenues par l’Etat, sont des lieux situés le plus souvent en centre-ville, réservés aux femmes enceintes, dans lesquels ces dernières trouvent un espace sécurisant et calme, permettant l’échange d’informations autour de ce moment particulier de leur vie. Ces structures d’accueil sont aussi un lieu permettant aux femmes en situation de précarité ou subissant des violences conjugales de trouver un refuge adapté et une oreille attentive à leur détresse.
7 - Nous savons aujourd’hui que le stress peut influencer de manière très importante le déroulement des grossesses, aussi bien au niveau de la santé de la mère que de la structure physiologique et immunitaire de l’enfant. Pourtant, paradoxalement, nos grands pôles urbains regroupent la grande majorité des naissances de notre pays. Tout en reconsidérant le contexte nataliste des territoires ruraux (comme décrit précédemment), il convient donc aussi d’améliorer le cadre de vie de la femme enceinte dans ces grands pôles urbains. La réduction du stress subi trop souvent par les femmes enceintes est un enjeu de santé publique tout à fait prioritaire. Plusieurs mesures simples et efficaces peuvent être prises dans ce sens comme par exemple la mise en place de tarifs réduits sur les taxis/Uber ou assimilés, ce qui permettrait de diminuer significativement le nombre, encore beaucoup trop élevé de malaises de femmes enceintes aux heures de pointe dans les métros ou bus bondés. Il serait également possible de renforcer l’information accessible aux femmes concernant leurs droits en fonction de leurs situations familiales et professionnelles. L’objectif est de s’assurer que ces dernières profitent des structures et dispositifs disponibles qui, bien souvent, sont ignorés. A cet effet, il semble important de renforcer la formation, actuellement insuffisante, des généralistes à ces différentes questions. Dans certaines grandes galeries commerciales, augmenter le nombre de salles de repos et d’allaitement, propres, facilement accessibles et spécialement dédiés aux femmes souhaitant accéder rapidement à une zone d’intimité, est aussi une initiative cohérente.
En réalité, le lancement d’une politique nataliste ambitieuse en France devrait idéalement être une synthèse entre la flexibilisation de nos politiques incitatives, qui aujourd’hui ne sont plus adaptées à la réalité de la vie et ont souffert de 40 années de matraquage politique, et la volonté publique d’améliorer et de simplifier la vie de la femme enceinte ou de la jeune mère au sein de nos territoires, ruraux comme urbains. Il est plus que temps que le politique se retrousse les manches et se remette à travailler pour et avec l’humain, ce qui normalement devrait constituer l’essentiel de son travail, le cœur de son action. Parler de la natalité comme étant la base de notre modèle démographique, civilisationnel et humain devrait tomber sous le sens.
« Fragilisée, la politique familiale doit redevenir une priorité nationale », par Aurélien Duchêne
Une baisse inquiétante de notre natalité
Depuis plusieurs décennies, la France s'enorgueillit d'avoir l'une des natalités les plus dynamiques d'Europe, avec un taux de fécondité qui est régulièrement le plus élevé du Vieux continent. Cette vitalité démographique est régulièrement présentée dans le débat public comme l'un de nos atouts nationaux. Mais à l'instar de notre recherche scientifique, de notre système de santé, de notre agriculture, de nos armées, de notre filière nucléaire ou d'autres de nos atouts gâchés par les politiques de ces 40 dernières années, notre natalité souffre de choix politiques court-termistes. Notre vitalité démographique a toujours été en grande partie liée à une politique familiale ambitieuse : jusqu'ici sanctuarisée malgré les alternances politiques, cette politique a subi ces dernières années des régressions qui commencent déjà à avoir des effets pervers. Notre natalité baisse.
Nous sommes passés de 818 000 naissances en 2014 à 753 000 en 2019. Cette baisse s'est faite de manière constante, avec une chute très nette entre 2015 et 2017.Dans le même temps, le nombre de décès a lui augmenté (de 559 000 en 2014 à 612 000 en 2019) ; l'augmentation du solde migratoire (la hausse du nombre d'immigrés ayant compensé la hausse du nombre d'expatriés) n'a pas empêché le taux de croissance de la population française de diminuer en cinq ans de 0,43% à 0,28% (nous étions à +0,5% par an en 2008-2013).
Le seuil de remplacement des générations est, pour notre pays, de 2,06 à 2,1 enfants par femme, mais le taux de fécondité en France était en 2018 et 2019 de seulement 1,87 (1,84 pour la seule France hexagonale), au plus bas depuis 20 ans. Une baisse prolongée puisque le taux de fécondité était de 2,00 en 2014, 1,95 en 2015, 1,92 en 2016, 1,88 en 2017. Du fait d'une tendance à la hausse (légère) des décès, l'excédent naturel est tombé en 2018 à 144 000 personnes, soit son plus bas niveau depuis 1945 ! Certaines analyses avancent qu'il manque 40 000 à 50 000 enfants par an depuis 2013 pour assurer le renouveau de la population sans recourir à l'immigration, or, cette situation pourrait mécaniquement se dégrader.
La fin de l'exception démographique française ?
Certes, notre fécondité est toujours bien au-dessus de la moyenne européenne. Mais nous risquons de nous orienter progressivement vers une fin de « l'exception démographique » française, pendant que d'autres pays, notamment l'Allemagne, connaissent d'ailleurs un regain de natalité. En 2017, la population française avait augmenté de 230 000 personnes : presque deux fois moins qu'au Royaume-Uni (426 000), et près de trois fois moins qu'en Allemagne (624 000), pour des raisons que nous verrons plus loin. Certes, notre natalité a déjà été plus basse dans notre histoire récente, traversant des trous d'air. Mais comme nous le verrons, la séquence actuelle envoie des signaux inquiétants et paraît de plus en plus liée aux reculs de la politique familiale. Et certes, la baisse du nombre de naissances a été moins forte en 2019 (-6 000) qu'en 2018 (-12 000), 2017 (-14 000), 2016 (-15 000) et 2015 (-20 000). Mais nous pourrions bien nous diriger vers une baisse durable et continue de notre natalité.
Il y a des signes avant-coureurs. Si comme vu plus haut, le solde naturel français est tombé au plus bas depuis l'après-guerre (dès 2016, la situation s'aggravant depuis chaque année), le total des naissances sur 12 mois glissants s'est réduit sans discontinuer pendant 60 mois d'affilée, un phénomène jamais observé là aussi depuis 1945. L'un de nos plus grands démographes, Alfred Sauvy, prévenait en son temps que « quand on oublie la démographie, on découvre les problèmes avec vingt-cinq ans de retard » : alors qu'une baisse de la natalité se constate déjà avec 65 000 naissances annuelles en moins sur cinq ans, nous risquons bien d'avoir à nous plaindre dans un quart de siècle de déséquilibres démographiques en germe dès aujourd'hui, de la même manière que le débat actuel sur la soutenabilité de notre système de retraites met en exergue les déséquilibres financiers hérités de la folle décision de François Mitterrand d'instaurer en son temps la retraite à 60 ans.
Des conséquences économiques et financières dangereuses
La baisse de la natalité française fragilise en premier la soutenabilité de notre système de retraites, voire de notre système de protection sociale au sens large.
On parle beaucoup, depuis le début de la crise sur la réforme des retraites, des scénarios élaborés par le Conseil d'Orientation des Retraites : or, le COR alertait dans ses rapports de juin et novembre l'an dernier sur le fait que la France s'oriente vers « le sentier bas des projections démographiques de l'INSEE », après avoir déjà tiré la sonnette d'alarme en 2018. Pourquoi cela ? Parce que les scénarios du COR qui envisagent l'équilibre financier de notre système de retraites (il en va de même pour notre système de santé) se basent sur l'hypothèse d'une fécondité de 1,95 enfant par femme. Or, notre taux de fécondité s'éloigne de plus en plus de cette hypothèse, et ce devrait continuer à être le cas sauf retournement miraculeux de la situation, qui a très peu de chances d'advenir sans revalorisation des politiques familiales. La seule diminution de notre natalité signifie des perspectives financières dégradées pour notre système de retraites.
Plus largement, un ralentissement de la croissance démographique sera nocif pour la croissance de notre économie dans sa structure actuelle. La très faible croissance de l'Italie s'explique en grande partie par sa stagnation démographique. Il en va évidemment de même pour le Japon où le vieillissement et le déclin de la population sont en grande partie à l'origine des difficultés économiques depuis une vingtaine d'années.
Des situations où déclin démographique et économique se nourrissent l'un et l'autre, notre pays en connaît déjà . Ainsi des 35 départements qui ont vu leur population diminuer entre 2010 et 2018 du fait de déficits démographiques naturels que l'immigration ne compense pas – dans certains cas, le solde migratoire est d'ailleurs négatif du fait d'une émigration vers d'autres départements. Ces départements sont évidemment pour l'essentiel ruraux et situés dans cette tristement célèbre « diagonale du vide », au cœur de la France des oubliés. Une vingtaine d'entre eux se dépeuplent de manière continue, comme la Creuse, la Nièvre, le Cantal, l'Orne, les Vosges, la Haute-Marne, l'Indre, la Meuse ou les Ardennes : des départements en souffrance où le besoin de soutenir les familles qui renoncent aujourd'hui à faire des enfants devient urgent.
Oui, la baisse de la natalité est d'abord liée aux reculs sur la politique familiale
L'honnêteté intellectuelle oblige à reconnaître que la diminution de notre natalité s'inscrit à la fois dans des changements anthropologiques – à titre d'exemple, le fait de se marier et de faire des enfants plus tard qui reporte les naissances de quelques années, comme observé durant les années 1990, ou la reconfiguration continue des cadres familiaux – sur lesquels nous ne nous étendrons pas. La baisse de notre natalité procède aussi de facteurs variés allant du coût du logement aux mobilités professionnelles (d'un territoire à un autre ou d'une activité à une autre), en passant par la situation de l'emploi. Elle dépend aussi de la confiance dans l'avenir face aux incertitudes : perspectives d'ascension sociale pour soi-même et ses enfants, craintes pour l'avenir des services publics ou du système de protection sociale, ou encore craintes face à l'insécurité, à l'urgence écologique...
Tous ces éléments ne doivent pas occulter l'effet pervers des coups de canif opérés contre notre politique familiale. Nous commençons à avoir assez de recul et d'éléments en main pour affirmer que oui, les régressions opérées contre la politique familiale française ces dernières années dégradent notre situation démographique et ont déjà dissuadé des familles de concevoir plusieurs dizaines de milliers de bébés.
Lorsque l'on analyse les soubresauts de la courbe de la natalité française depuis 30 ans, l'on constate évidemment des hauts et des bas. Or, la dégradation de notre natalité ces dernières années semble peu « naturelle ». La manière dont s'est interrompu après 2014 le regain démographique qui avait cours depuis 2006 évoque davantage un affaissement brutal, causé par des facteurs externes, qu'un retournement progressif de la conjoncture démographique reposant sur des tendances lourdes. Simple coïncidence ou concomitance avec les restrictions envers les politiques familiales opérées sous le quinquennat Hollande ? Du côté des facteurs économiques, le nombre de naissances est resté stable en 2008-2014, malgré l'impact de la crise et de la forte hausse du chômage ; il s'est mis à baisser après l'entrée en vigueur des réformes de la politique familiale en 2015.
Comme le rappelait Jérôme Fourquet dans une interview au Figaro en janvier 2020, un sondage de l'IFOP indiquait en 2016 que 44% des foyers français se disaient concernées par ces mesures ; selon la même étude, 51% des Français estimaient que ces coups de rabot sur la politique familiale conduiraient de futurs parents à reporter une naissance, une proportion montant à 62% parmi les foyers ayant déjà deux enfants. Pour citer à nouveau Jérôme Fourquet, les politiques familiales ont été sanctuarisées malgré les alternances politiques et ont toujours constitué « un élément très structurant du pacte national ».
La réduction des avantages sociaux des familles aisées a été perçue par de nombreuses familles non concernées comme le signal d'une potentielle restriction généralisée des politique familiales, désormais plus intouchables, qui toucherait tout le monde. Un effet psychologique qui aurait également joué à la baisse sur les naissances. Ainsi que l'a récemment avancé l'UNAF, ce n'est pas la baisse du nombre de femmes en âge de procréer, mais la modification du comportement des couples qui explique véritablement la baisse du nombre de naissances. Et ce comportement dépend également de l'évolution des politiques familiales.
Les régressions opérées sous François Hollande et poursuivies sous Emmanuel Macron
Les principales régressions opérées sous le mandat de François Hollande concernent le quotient familial : son plafond est passé de 2 336 euros en 2012 à 2 000 euros, puis seulement 1 500 euros en 2014. Il en a résulté une hausse moyenne d'impôt sur le revenu de 768 euros pour plus d'un million de familles. Si une telle hausse a concerné des foyers fiscaux généralement aisés, l'impact de la mesure (à titre d'exemple, 2 000 euros de hausse d'IR pour un couple avec trois enfants à charge et 86 000 euros de revenu) a joué à la baisse sur leur natalité. La prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE), gelée en 2014, a vu le montant de son allocation de base divisé par deux (de 184 à 92 euros)
Pour prendre un exemple concret, avant avril 2018, un couple de deux parents touchant chacun 1 700 euros nets par mois (soit moins que le salaire médian) pouvait percevoir une allocation de base à taux plein de 184 euros à la naissance de leur premier enfant. Désormais, le même couple touche une allocation à taux partiel de 85 euros : en résulte une perte mensuelle de revenu de pratiquement 100 euros sur les 35 mois durant lesquels est versée l'allocation de base. La modulation des allocations familiales a répondu à la fois à une logique de coup de rabot budgétaire (faute de réforme de la dépense publique) et de redistribution visant à faire payer les familles aisées qui avaient déjà supporté une large part de l'effort fiscal sous le quinquennat Hollande. En s'ajoutant à de fortes hausses d'impôts, la division par deux ou par quatre des allocations familiales au-delà d'un certain plafond a réduit la natalité de ces familles.
Certains de voisins arrivent à relancer leur natalité en renforçant leur politique familiale
Au moment où les gouvernements français successifs en viennent à faire baisser notre natalité unique en Europe en rognant sur les politiques familiales faut de réaliser des économies courageuses sur d'autres postes de dépense publique, d'autres gouvernements européens parviennent à relancer la faible natalité de leur pays en renforçant considérablement les politiques familiales grâce à une meilleur gestion budgétaire.
Regardons notamment le cas de l'Allemagne, connue depuis près de 50 ans comme un « modèle » de déclin démographique, nourrissant les prévisions (et souvent les espoirs) de voir la France repasser devant son voisin d'Outre-Rhin en termes de population. La natalité allemande remonte rapidement depuis plusieurs années. Le taux de fécondité allemand est revenu dans la moyenne à 1,59 en 2016, au plus haut depuis 43 ans, et continue d'augmenter depuis. La hausse de la population allemande s'explique en bonne partie par l'accueil de centaines de milliers d'immigrés (en diminution progressive depuis l'afflux massif de 2015-2016). Les immigrés extra-européens installés en Allemagne depuis plus longtemps font sinon plus d'enfants que la moyenne de la population. Mais cette reprise démographique n'aurait pas eu lieu sans un renforcement de la politique familiale. Les gouvernements successifs de Gerhard Schröder, puis surtout Angela Merkel, ont alloué des moyens conséquents au soutien à la natalité : construction de 400 000 places de crèche en 10 ans auxquelles devraient s'ajouter 100 000 places supplémentaires (ce qui reste insuffisant), obligation théorique pour toutes les communes de garantir une place en Kindergaten à tous les enfants depuis 2013, hausse des allocations familiales et création d'un salaire parental, instauration récente de la gratuité des frais de garde jusqu'à 6 ans... Les prévisions actuelles sont plus encourageantes pour la natalité allemande qu'elles ne l'ont été depuis des décennies.
En Europe centrale, les politiques natalistes initiées il y a quelques années commencent à porter leur fruits. En Pologne, le gouvernement dirigé par le PiS (dont nous ne nous étendrons pas sur les orientations souvent critiquables) a redémarré la natalité en instaurant sa fameuse allocation « 500 zlotys » (117 euros) : 13 000 naissances supplémentaires en 2016, 20 000 de plus en 2017. En Hongrie, le gouvernement Orban – aux positions certes contestables – a réussi à faire grimper le taux de fécondité de 1,23 en 2010 à 1,49 aujourd'hui, avec un objectif de 2,1 (soit le seuil de renouvellement de la population) en 2030.
En Russie, les politiques natalistes mises en place par Vladimir Poutine ont permis de renouer avec une croissance démographique très timide après des années de déclin catastrophique de la population, et de limiter l'impact du vieillissement. La Russie ayant enregistré à nouveau une baisse de sa natalité en 2018, la natalité sera d'ailleurs l'une des priorités du gigantesque plan d'investissement annoncé début 2020. En Nouvelle-Zélande, la Première Ministre Jacinda Ardern, devenue mère alors qu'elle était au pouvoir (ce qui l'a amenée à prendre un congé maternité avant de reprendre la direction du Gouvernement) a fixé comme objectif à son pays de devenir le meilleur endroit au monde pour faire grandir un enfant.
Objectif France veut réparer, sanctuariser et renforcer notre politique familiale
Tout montre l'urgence d'annuler les décisions injustes prises sous le quinquennat de François Hollande (fin de l'universalité des allocations familiales, diminuées pour de nombreuses familles, baisse du quotient familial, réformes stupides de la prime de naissance) et poursuivies sous celui d'Emmanuel Macron, et de sanctuariser notre politique familiale. Nous devons aussi mettre fin à l'érosion de l'accueil de la petite enfance (infrastructures, personnel) : plus de moyens pourront être dégagés par une optimisation des dépenses de santé et d'assurance-maladie, un chantier sur lequel travaille pour Objectif France une équipe dirigée par Guy-André Pelouze. Mais nous ne pouvons nous contenter de revenir sur les régressions subies par la politique familiale française : il faut lui lui donner davantage d'ambition, pour accélérer notre natalité.
Comment faire ? Voici quelques propositions visant à nourrir le débat. Ces propositions sont chiffrées et pourraient être en grande partie couvertes par des mesures d'économies déjà identifiées par Objectif France.
1 – Rétablir le montant des allocations familiales pour toutes les familles à leur niveau d'avant 2014, et les indexer sur l'inflation. Une telle mesure coûterait entre 750 et 800 millions d'euros par an. Comment la financer ? Objectif France propose déjà de supprimer l’aide médicale d’État (AME) pour la remplacer par une dispense de frais de santé limitée à la prise en charge des mineurs, des urgences et des maladies infectieuses, dans les établissements de santé agréés, ce qui permettrait d'économiser 800 millions par an. En revanche, les allocations seraient désormais plafonnées à 4, voire 5 enfants par famille.
2 – Relever le plafond du quotient familial à 3 000 euros par demi-part – soit un doublement de celui-ci. Cette mesure coûterait entre 2,5 et 2,9 milliards d'euros. Là aussi, il est possible de trouver des financements par une meilleure gestion des coûts liés aux politiques actuelles d'immigration. La proposition d'Objectif France de ne verser les prestations d’allocations familiales ou d’aide au logement qu’à ceux qui résident régulièrement en France et qui ont cotisés pendant au moins 2 ans à la Sécurité sociale pourrait ainsi rapporter autour de 2 milliards d'euros par an.
3 – Porter le congé paternité à 30 jours calendaires et rendre obligatoire un congé de 11 jours qui pourra être pris par n'importe quel actif grâce à un assouplissement des règles actuelles.
4 – Créer 250 000 places d'accueil à horaire adapté pour la petite enfance. L'investissement nécessaire à la construction de ces nouvelles places de crèche réparties sur les zones où la demande sera la plus forte peut-être estimé à près de 8 milliards d'euros. Leur coût annuel de fonctionnement sera ensuite de 2,6 milliards d'euros. Il s'agit d'une dépense importante, mais nécessaire.
5 – Créer un prêt public sur 30 ans à taux zéro de 3 600 euros la première année (2 800 euros en deuxième année, 2 000 en année 3) pour chaque nouvel enfant à partir du premier, pour les personnes résidant en France et cotisant à la Sécurité sociale depuis plus de 2 ans. Le coût de cette mesure dépendrait évidemment du nombre de naissances supplémentaires. Dans un scénario vert où la France « retrouverait » du fait de ce bonus octroyé les 70 000 naissances annuelles perdues ces cinq dernières années, le coût d'une telle mesure serait ainsi de 252 millions en année 1, de 448 millions en année 2, et 588 millions en année 3. Associée à la mise en œuvre des propositions précédentes, cette solution occasionnerait un regain démographique qui viendrait à terme compenser son coût budgétaire.
6 – Verser la prime de naissance dès le 7ème mois de grossesse, et non dès le 2e mois révolu du bébé, et revenir sur la réforme initiée sous François Hollande.
Ces mesures, dont le coût budgétaire annuel serait situé entre 6,5 et 7 milliards d'euros, sont complémentaires de celles avancées par Etienne Le Reun pour améliorer le cadre nataliste en France.
L'ensemble de nos propositions mises en œuvre permettraient de relancer la natalité française pour la porter au-dessus du seuil de renouvellement des générations, soit au-dessus de 2,06 à 2,1 enfants par femme. Ce dynamisme démographique retrouvé contribuerait à renforcer notre croissance économique et la soutenabilité financière de notre système social.
Etienne Le Reun, 20 ans,
Étudiant en Sciences politiques, membre du Conseil stratégique d'Objectif France
Aurélien Duchêne, 21 ans,
Etudiant en Sécurité internationale et Défense, Directeur adjoint du Projet d'Objectif France et membre du Comité exécutif