Tribune

Rentrée scolaire : trois urgences et trois priorités - par Rafik Smati



Parmi les millions d'enfants et d'adolescents français qui font aujourd'hui leur rentrée, ceux qui découvrent le CP devraient passer leur bac en 2033. Ni leurs parents, ni leurs professeurs ne sont en mesure de dire avec davantage de certitude que ceux qui rentrent aujourd'hui à l'école primaire ce que sera le monde à cette date.


Quand la plupart des lycéens qui ont passé le bac cette année ont rejoint la maternelle en 2006 ou 2007, l'iPhone n'était pas dans le commerce et peu de jeunes Français avaient entendu parler de Facebook. Plus que toute autre politique publique, l'éducation nationale est le domaine du temps long. Mais cette politique du long terme par excellence est minée par les urgences.

La première est celle du décrochage de notre système éducatif, à la fois au niveau international et en ce qui concerne les savoirs fondamentaux.

Le constat n'est certes pas neuf. A chaque rentrée scolaire, le débat public ressasse les mêmes lieux communs : le niveau de l'enseignement en France et celui des élèves sont en baisse, et « c'était mieux avant ». Des antiennes qui ne datent pas d'hier, puisque dans les années précédent la Première Guerre mondiale, d'aucuns déploraient par exemple le déclin de la maîtrise de la langue française des écoliers ! Mais le lent déclin observé depuis la fin des années 1980 s'est mué en un véritable décrochage collectif. Notre pays, qui était un élève modèle du monde occidental, est devenu un cancre du monde développé, y compris par rapport aux autres pays européens.

On parle régulièrement des fameux classements PISA, dans lesquels notre pays régresse chaque fois un peu plus. Ils ne sont pas les seuls à quantifier la réalité du déclin éducatif français. Ainsi les études menées dans le cadre du programme Pirls montrent-elles par exemple que le niveau des élèves français en lecture (surtout en compréhension des textes) est en baisse continue. Notre faillite éducative se vérifie surtout dans les matières scientifiques. Parmi les dernières études consacrées au sujet un classement Timss publié fin 2020 montre qu'en mathématiques et en sciences, les élèves français de niveau CM1 ont chuté à l'avant-dernière place, devant le Chili, derrière des pays comme la Bulgarie ou la Slovaquie, et une quarantaine de points sous la moyenne européenne. Au niveau des élèves de 4e, la France fait à peine mieux ; en maths, le score des élèves français de cette classe d'âge a par exemple chuté de 47 points. Seuls 2% des élèves de 4e français atteignent le « niveau avancé » dans cette matière, contre 11% en moyenne en Europe. A contrario, plus de 15% des élèves français n'atteignent pas le « niveau bas », contre 6% dans la moyenne européenne. Une différence qui s'explique en partie par le manque de formation dans ces matières des enseignants du primaire, mais pas seulement.

Au fil des réformes successives, le niveau des élèves du primaire et du secondaire en mathématiques a diminué en 30 ans de l'équivalent d'une année : autrement dit, un élève de 5e d'aujourd'hui a par exemple le niveau d'un élève de 6e au début des années 1990. Parallèlement, l'apprentissage de certaines règles de français a été repoussé : le passé simple n'est abordé qu'à partir de la 5e alors qu'il était étudié dès le CE2 dans les années 1980.

De même, une étude du ministère de l’Éducation nationale publiée fin 2020 montrait que le niveau des enfants en mathématiques continuait de diminuer au point que moins de la moitié des élèves du primaire avaient un niveau considéré comme «suffisant» dans cette matière. Une chute particulièrement criante parmi les enfants issus de milieux populaires.

Les alertes qui se multiplient sur la baisse du niveau scolaire ne procèdent pas d'une obsession française pour le déclin : elles reflètent un véritable décrochage de notre système éducatif.

La seconde urgence réside dans l'incapacité de notre système éducatif à permettre l'ascension sociale, mais aussi à entretenir la cohésion nationale. Malgré notre passion égalitaire, voire égalitariste qui se retrouve dans l'un des systèmes de protection sociale les plus protecteurs et les plus redistributifs au monde, notre système scolaire continue de creuser les inégalités à la racine. La France, qui se situe selon les matières entre la 20 et la 26e place européennes dans le classement PISA, fait partie des cinq pays au système scolaire le plus inégalitaire sur 79 pays étudiés. Dans notre pays, il faut en moyenne six générations pour qu'un enfant issu d'un milieu pauvre atteigne le revenu médian, contre deux à trois fois moins dans les pays nordiques (la moyenne dans l'OCDE est de cinq générations).

Si notre système éducatif se montre incapable de casser les déterminismes sociaux, ses failles couplées à celles de notre modèle social et aux tensions sur le marché de l'emploi ont contribué à l'émergence d'une nouvelle catégorie de décrocheurs en difficulté absolue. Plus de 1,5 million de jeunes âgés de 15 à 29 ans ne sont ainsi ni en emploi, ni en études, ni en formation : près de 20% des 23-29 ans sont dans une telle situation (on parle en anglais de « NEET »). Certes, des progrès ont été faits : 100 000 jeunes continuent chaque année de sortir du système scolaire sans diplôme, contre près de 150 000 au début des années 2010. Mais le nombre de « NEET » français continue d'augmenter chaque année, entretenant une véritable bombe sociale à retardement, d'autant qu'une partie des jeunes concernés basculent dans la délinquance, l'immense majorité d'entre eux restant condamnée à la précarité et à la pauvreté. La troisième urgence réside dans les difficultés croissantes qu'a notre système éducatif à préparer l'avenir : préparer l'avenir de notre pays, de ses entreprises à ses services publics, et préparer nos enfants aux bouleversements technologiques, économiques et sociaux qui s'annoncent.

Notre monde est irrémédiablement en train d'avancer vers une économie de la connaissance, un capitalisme cognitif où le rôle croissant des NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives) rendra toujours plus nécessaire un bagage scientifique minimal. Nous sommes engagés dans une quatrième révolution industrielle où vont disparaître des dizaines de métiers et en naître des dizaines d'autres, posant de nouveaux défis en termes de compétences et de formation professionnelle.

Une économie de la connaissance et une troisième quatrième industrielle dans laquelle la France a tout les atouts pour réussir, ne serait-ce que par son génie scientifique et entrepreneurial. Du moins pour l'instant, car le décrochage de notre système éducatif dans les matières scientifiques met en danger ces atouts déjà sous-exploités.

Nous rencontrons ainsi des difficultés croissantes à renouveler nos élites dans des domaines clés : nous constatons par exemple un déficit de candidats pour devenir enseignants en mathématiques, du fait d'un nombre insuffisants d'étudiants dans les filières scientifiques qui lui-même largement lié aux difficultés constatées de plus en plus tôt dans notre système scolaire. Cette pénurie d'enseignants dans un domaine aussi fondamental que les maths pourrait augurer d'un cercle vicieux, qui hypothéquerait progressivement nos chances de réussir dans les bouleversements économiques qui s'annoncent.

Notre système éducatif est donc miné par trois urgences. Face à cela, nous devons nous concentrer sur trois chantiers prioritaires, trois chantiers qui exigeront du courage politique.

D'abord, mettre le paquet sur l'acquisition et la maîtrise des fondamentaux – français, mathématiques, histoire – en ciblant les efforts sur l'école primaire où tout se joue. Nous devons permettre aux écoles de proposer la date d'entrée des enfants au CP en fonction de leur précocité et de déterminer le passage en sixième en fonction de la maîtrise des fondamentaux, avec un examen national à la fin du CM2. Nous devons alléger les classes en créant des groupes pour l'apprentissage des fondamentaux. Nous devons, encore, valoriser des rythmes scolaires qui correspondent mieux aux rythmes biologiques et d'apprentissage des enfants, ce qui implique d'étaler les horaires dans la semaine et de réaménager les vacances scolaires comme dans d'autres pays.

Ensuite, au-delà de l'urgence absolue apportée à la maîtrise des fondamentaux, un deuxième chantier est de refaire de l'école un pilier de la cohésion nationale. Il ne s'agit ni de revenir à l'école des hussards noirs de la IIIe République, ni de véhiculer de l'idéologie sous couvert d'enseignement. Nous devons instaurer des tenues homogènes à l'école. Nous devons renforcer l'apprentissage de l'histoire et de la géographie de la France, non en inculquant un roman national à l'ancienne, mais en insufflant un récit national capable de créer un sentiment d'appartenance et d'assimiler les enfants d'immigrés. Nous devons, enfin, rétablir le respect de l'autorité de l'enseignant et l'apprentissage d'un savoir-vivre essentiel à l'intégration en société, sans pour autant se substituer au rôle des parents. Enfin, nous devons mieux préparer nos enfants aux défis qui les attendront dans les prochaines décennies. Sur ce point, il faut se garder des fausses bonnes idées dépassées qui fleurissent dans le débat public, comme l'apprentissage du codage informatique à l'école où le souhait d'introduire du numérique partout. Le prérequis, c'est la maîtrise des fondamentaux. A ceux cités précédemment, s'en ajoute un quatrième : la faculté de concentration. Celle-ci est aujourd'hui gravement menacée dès le plus jeune âge, en particulier par l'addiction aux écrans qui deviennent des armes de distraction massive. Si elle doit nécessairement intégrer le numérique, l'école doit devenir une « bulle de lenteur », un espace permettant à nos enfants d'apprendre à se concentrer et à se sevrer notamment contre l'utilisation excessive des écrans qui nuit à leur santé comme à leur développement intellectuel. Au-delà de l'accent mis sur les fondamentaux, nous devons renouer avec ce qui permet de prétendre à l'excellence éducative : par exemple, en revalorisant la découverte et l'apprentissage des langues anciennes comme le latin. D'aucuns diront que tout ceci paraît réactionnaire : au contraire, il s'agit de la meilleure manière de réarmer notre école pour préparer l'avenir, comme le font des pays comme Singapour. Gardons à l'esprit que ce retour à un esprit d'excellence, qui doit tirer vers le haut l'enseignement primaire et secondaire, est indissociable d'une autre transformation de notre système éducatif que nous devons mener en parallèle : la valorisation des filières professionnelles et de l'apprentissage, vers laquelle doivent se rediriger bien plus de jeunes qui s'y épanouiront bien mieux que dans des carrières tertiaires qui ne leur réussiront pas, et dont notre pays a besoin pour se réindustrialiser progressivement. Il convient d'aborder un dernier point : la question des moyens.

On part souvent du fait que les lacunes de notre système éducatif seraient, comme pour d'autres politiques publiques, liées à des financements insuffisants. Mais la France n'a pas un problème de moyens ! Ses dépenses d'éducation au sens d'Eurostat, équivalentes à 5,2% du PIB, sont d'ailleurs légèrement supérieures à la moyenne européenne et dépassent par exemple d'un point de PIB les dépenses d'éducation de l'Allemagne. Pourtant, nos enseignants sont bien moins payés que dans ce dernier pays, contribuant à un manque de professeurs dans des domaines clés tels que les mathématiques. Comme souvent, le principal problème vient d'un État léviathan et d'une sphère publique hypertrophiée : si la France consacre seulement 40% de son budget d’Éducation nationale aux salaires des enseignants contre deux fois plus en Allemagne, où les salaires sont en moyenne supérieurs de 35%, c'est d'abord en raison d'une dépense administrative totale trois fois supérieure à celle d'outre-Rhin. Les marges de manœuvre pour augmenter les salaires des enseignants et recruter au besoin davantage d'enseignants, en priorité à l'école primaire pour garantir la maîtrise des fondamentaux. Surtout, les réformes dont notre système éducatif a besoin n'exigent pas de moyens supplémentaires, seulement du courage politique et de la détermination.

Le décrochage de notre système éducatif prend des proportions catastrophiques pour l'avenir des jeunes générations et pour celui du pays. Mais en agissant autour des trois grandes priorités que nous avons détaillées, nous pouvons rebâtir en quelques années l'un des meilleurs systèmes scolaires du monde développé et garantir à tous nos enfants la capacité de s'intégrer et de réussir dans une France qui sera mieux armée que jamais pour réussir dans la mondialisation et la quatrième révolution industrielle. Trois priorités absolues, que nous défendrons avec Objectif France durant la campagne présidentielle de 2022.

Rafik Smati
Entrepreneur et Président d'Objectif France