TRIBUNE

La prise en charge de nos ainés est un devoir



La tension qui règne dans les EPHAD pose la question de la prise en charge des personnes âgées et de la fin de vie. C'est la conséquence du manque d'anticipation des gouvernements successifs. Tel est l'objet de cette tribune signée par Hervé Coulaud.


Les démographes, annoncent en 2050 un nombre de décès en progression de 600 000 personnes âgées de plus de 80 ans. Selon l'INSEE, il y avait en 1999 : 4,5 millions de personnes âgées de plus de 75 ans et 1,2 million de plus de 85 ans. Ces chiffres seront respectivement multipliés par trois et quatre dès 2030-2050. C'est le bénéfice des progrès médicaux, de l'amélioration des conditions de vie et de la croissance démographique. Donc dans un futur proche les décès se concentreront à des âges très élevés et la mort va être "une affaire de vieux".

Cette évolution aura de graves conséquences sur la qualité de l'accueil d'un nombre croissant de personnes dans les institutions spécialisées. Objectif France alerte sur des problèmes qui vont apparaitre au grand jour, hélas prévisibles depuis 30 ans, mais non anticipés par les politiques. Des problèmes qui sont liés aux moyens matériels et financiers disponibles, à la formation de personnels capables de prodiguer des soins spécifiques. Elle va également conduire à poser des questions d'ordre éthique et l'on verra s'intensifier la question de l'euthanasie et du suicide assisté, sur laquelle il n'y a pas de position commune au sein de l'Union européenne.

Face à ce constat on va dire les choses franchement : qui va s'occuper de notre 3ème Age ? Qui, si nous ne finissons pas dans un hospice ? Ce qu'on appelle maintenant un EPAHD et entre nous le changement de nom n'est pas plus rassurant car cela n'éloigne ni la misère physique ni la misère morale. Qui va s'occuper de nous quand nous n'aurons plus l'âge d'être autonome ?

Nos enfants. L'un d'eux si vous en avez plusieurs ? Un, mais pas deux. Ne nous faisons pas d'illusion, les statistiques montrent que dans plus de 95% des cas, un seul enfant s'occupe des parents. Les autres considèrent qu'un seul est bien suffisant. 

En fait, rien n'est sûr. Car en aura-t-il les moyens ? Parce qu'il faut savoir que nous allons coûter au bas mot 2 500 € par mois en général et pour un établissement un peu plus confortable autour de 3000 à 4000 euros.

Heureusement pour les personnes âgées dépendantes l'aide à la personne (APA) versée par le Conseil Départemental n'est plus remboursable par les héritiers ou sur le capital après décès. Mais cette aide ne couvre que La partie dépendance c'est à dire au mieux environ 15 euros par jour sur un tarif journalier moyen de 98 à 120 euros. Pour le reste si les revenus de la personne ne sont pas suffisants le Conseil Départemental peut intervenir mais l'aide sera remboursable et les familles verront leur capital fondre comme neige au soleil. 

Et puis, ne l'ignorons pas, le système de retraite peut s'écrouler. Alors ce sera des pans entiers des classes moyennes qui se retrouveront dans des hospices de seconde zone. Ou alors l'assistance de dépendance déjà très lourd pour les finances des départements s'écroulera à son tour.

Qui va nous conduire à l'hôpital le jour où nous ferons une mauvaise chute ? Notre conjoint ? Il se dit la même chose pour vous. Il y a bien un moment où l'un de vous deux n'aura plus l'autre. Qui partira le premier, ou la première ? Dans la génération de nos parents souvent il a bossé dur pendant qu'elle s'occupait des enfants et de la maison. Souvent quand elle travaillait c'était comme travailleur non déclaré (artisans, paysans…) Ou ils étaient tous les deux fonctionnaires avec de petites retraites inférieures à 1200 euros par mois. La pension de réversion, quand elle existe sera divisée par deux et ne permettra pas de payer l'EPAHD.

N'espérez pas vous tournez pas vers la bourse, les Bons du Trésor américains, les fonds de placement, chers à Monsieur Macron, pour sauver votre pouvoir d'achat la retraite venue. Pour la plupart d'entre nous c'est déjà trop tard compte tenu de l'âge moyen de la Population française.

La solution, c'est d'avoir un enfant qui vous aime et qui ait les moyens de vous aider. Encore faudrait-il que notre société aime ses aînés et donne à nos enfants les cadres et les structures pour accomplir leur devoir filial. Le placement en EPAHD est souvent une solution d'éloignement facile pour les jeunes générations qui se déchargent sur la société de l'attention et il faut bien le dire de la charge que représente un vieux.

Si notre société est encore capable de renouer le lien entre les générations (qui autrefois vivaient sous le même toit ce qui rendait l'entraide naturelle) il faudrait favoriser plus le maintien à domicile des personnes âgées, solution plus douce pour la personne qui continue à vivre dans un environnement connu, moins coûteuse également, créatrice d'emplois aussi.

Et si nos enfants ne réussissent pas suffisamment et tirent le diable par la queue ? On ne va quand même pas leur enlever le peu de gras qu'ils mettent de côté pour payer leurs impôts ! 

La société de la marchandisation et de l'individualisme est peuplée de femmes et d'hommes qui ne penseront qu'à eux. La solidarité c'est très joli à la télé : au moment des pièces jaunes, à Noël, quand un abbé barbu lance un appel au plus froid de l'hiver, quand les caméras font le sujet du 20h sur les migrants. Mais cela résiste assez mal à l'endurance dont les familles doivent faire preuve pour prendre en charge durant des années une personne âgée.

Les enfants sont égoïstes mais peuvent avoir des excuses quand ils sont eux-mêmes malades et dans l'incapacité d'accompagner notre vieillesse, ou trop occupés par leur activité professionnelle et par leurs propres enfants, ou trop éloignés géographiquement dans une société où il faut aller chercher le travail là où il y'a en a. Enfin, en Europe, le vieillissement des aidants naturels compromet l'accompagnement de la génération précédente.

Pour ceux qui sont en bonne santé, actif et doté de solides revenus, le culte de la jeunesse et des loisirs, le culte du corps magnifié par la publicité omniprésente et mensongère des mannequins éternellement jeunes et anorexiques, renforcent le tabou autour de la mort et de la dépendance. Cette occultation dans nos sociétés modernes fait que la majorité des personnes âgées sont désormais placées en institutions pour leur bien et le repos de leur famille.

Pour Objectif France il faut donc déjouer cette statistique des enfants ingrats, pauvres, malades ou absents. Pour être aimé de son enfant et pour qu'il ait des moyens, et qu'il ait l'idée de ne pas vous laisser choir, qu'est-ce qu'il faut ? 

Il faut doter notre société de structures adaptées avec le personnel en conséquence. Pour cela il faut que la société prenne en compte le coût de ses aînés non comme une charge mais comme un devoir. Les familles subissent de plein fouet le manque de solidarité nationale. Elles doivent faire face sans être suffisamment soutenues et sans être aidées matériellement et financièrement. L'accompagnement se fait alors au détriment de leur propre équilibre. Souvent épuisées, elles passent le relais aux spécialistes. Il faut donner des possibilités aux familles pour qu'elles puissent investir le projet de soins sans que cette situation provoque en retour une culpabilité chez le vieillard malade qui se sent une charge pour les siens.

Il faut rechercher des solutions moins coûteuses. Comment expliquer qu'un maintien à domicile avec des prestations individualisées coûte au moins 1/3 moins cher qu'une place en EPAHD ? Développer peut-être le bénévolat grâce à un service national. Donner aux jeunes une culture et des valeurs d'entraide qui s'appuient sur une vision transgénérationnelle de la société.

Alors que les mouvements sociaux se multiplient dans les maisons de retraite, Objectif France réaffirme que la qualité des soins aux résidents va de pair avec l'attention portée au personnel.

Même s'il faut modérer le constat, car cela dépend des établissements, il est vrai que les effectifs n'ont pas suivi le vieillissement de la population.

Un tournant sociologique majeur s'est amorcé dès les années soixante. En l'espace d'une génération, le lieu du décès passe du domicile aux structures médicalisées, hôpitaux, cliniques, maisons de retraite où désormais les trois quarts de nos contemporains meurent en soins de longue durée après un cahoteux parcours en institution et de nombreuses années d'accompagnement. La plupart des résidents en EPAHD présentent des polypathologies qui s'amplifient au cours de leur séjour, venant accroître leur inconfort et leur détresse, ainsi que la souffrance de leur entourage.

Autre évolution notable, auparavant les personnes âgées rentraient en établissement plus tôt, avec leurs capacités physiques, cognitives. Aujourd'hui, elles entrent dépendantes, avec une prise en charge beaucoup plus lourde. Et les aides-soignantes se retrouvent en première ligne. Leur grande frustration est de courir après le temps. 

Désormais, dans les établissements, on met en place des « projets personnalisés ». Par exemple, on servira à Monsieur X une tranche de pâté au petit déjeuner, comme il en a toujours eu l'habitude. Mais personnaliser un soin, ça veut dire prendre le temps de discuter, de s'asseoir. Sauf que les aides-soignantes ont la responsabilité de dix, quinze, parfois vingt personnes, selon les établissements. Cette surcharge n'explique pas à elle seule, l'épuisement du personnel. Les horaires sont difficiles. Les aides-soignantes commencent en général à 6 h 30. Ensuite, tout dépend de la façon dont le travail est organisé. Dans un établissement attentif au bien-être des résidents, le personnel reçoit un listing avec des horaires de réveil personnalisés. Mais dans les établissements moins richement dotés ce sera : « Vous commencez au début du couloir, vous allez jusqu'au bout et vous réveillez tout le monde. »

Les grévistes regrettent de devoir bâcler la toilette des résidents. Mais que cela signifie-t-il concrètement ? Cela dépend de l'autonomie du résident. Il y a des toilettes au lit, au lavabo, à la douche. Une douche, c'est vingt minutes. Une toilette au lit, une demi-heure. Et c'est très compliqué. Il faut préparer la douche à la bonne température. Déshabiller la personne, la tourner sur le côté. La tenir d'une main. Que se passe-t-il si l'aide-soignante est seule ? Il y a un risque de chute. Donc pour la sécurité il faudrait toujours être deux. Pendant qu'un soignant agit, l'autre maintient la personne, la réconforte. Mais c'est rarement le cas. Après Il reste encore les soins de bouche, le coiffage, la mise en place des appareils auditifs, dentaires, des bas de contention. Une aide-soignante bien organisée y arrive en trente minutes et c'est un exploit.

Et si l'aide-soignante n'a pas cette demi-heure elle risque de bousculer la personne. Ou bien, elle oubliera de mettre en place l'appareil auditif. C'est comme cela que, même sans le vouloir, que s'installe une forme de maltraitance passive. Prendre le temps de comprendre pourquoi il y avait ces larmes, ces tremblements chez une personne est devenu tout bonnement impossible.

Les équipes qui accueillent des personnes âgées ne sont pas en nombre suffisant doivent-être formées à la prise en charge des troubles liées à la démence ou aux soins palliatifs. Il faut leur donner d'autres armes que leur solide motivation, elles doivent bénéficier de groupes de parole pour les accompagner face à leur sentiment d'impuissance et à leur propre solitude quand elles sont confrontés aux questions existentielles.

Le personnel est confronté non seulement à la fatigue physique (tous les établissements n'ont pas de hamac motorisé pour soulever les personnes et les pathologies du dos sont fréquentes) mais aussi à un épuisement psychologique en particulier dans les unités de fin de vie. Certains résidents sont là depuis des années ! Ce sont souvent des patients isolés ou abandonnés par leur famille. Ils appellent l'infirmière par son prénom. Et elle sait que ce lien, ça va être jusqu'au bout ...En soin de longue durée la mort est l'inéluctable issue. Les professionnels sont éprouvés par la mort qui frappe dans leur service quasi quotidiennement. Il faut mieux former et préparer les personnels accompagnant à soigner sans guérir. Il faut les former à composer avec les modifications de la communication, avec l'agitation et l'agressivité. Tous ces troubles qui déstabilisent l'entourage, gênent la relation, modifient ou empêchent la proximité et qui ont pour effet de mettre le malade à distance. Il faut les préparer à gérer la solitude qui est habituelle en gériatrie. Lorsque leur vie touche à sa fin, comment trouver du sens à dispenser des soins répétitifs chez un patient muré dans le silence. A cette extrémité de la vie, la personne âgée a souvent perdu au bord du chemin, la relation, le lien, l'amitié, l'amour qui faisait que la vie trouvait tout son sens. La solitude a pu être volontaire ou imposée progressivement par la maladie, le handicap ou la disparition des proches. Elle est toujours renforcée par la proximité de l'échéance de la mort.

A Objectif France nous voulons voir se développer une nouvelle solidarité sociale. Pour cela, il est indispensable d'effectuer une triple réinsertion ou revalorisation : celle de la personne âgé dans la société ; celle de la place des aidants naturels (la famille) dans les institutions, celle de la valeur des actions des professionnels de soins longue durée.

Hervé Coulaud