Tribune

Rafik Smati : « À l'aube d'une étincelle »



Le gouvernement présente la hausse de la fiscalité sur le diesel comme une mesure pour l'environnement. Imposture ! Instrumentaliser la cause écologique pour légitimer le racket fiscal est irresponsable ! Dans cette tribune, Rafik Smati alerte sur le vent de colère se lève en France...


J'écris ces lignes de mon petit village provençal. Ici, dans ce qu'il est convenu d'appeler « la France périphérique », je vois la colère populaire monter à vue d'oeil. J'entends les mécontentements s'exprimer partout où je vais. Je sens l'exaspération de cette France des Oubliés.

Parmi les raisons qui suscitent le plus la grogne, il y a la montée vertigineuse des prix des carburants. Il y a 18 mois, le prix du gazole était de 1,20 euros le litre dans la station qui jouxte la supérette du village. Aujourd'hui, il est de 1,52 euros. Stéphanie, serveuse dans une auberge locale, parcourt près de 100 km par jour. 20 jours par mois. 11 mois par an. Le calcul est vite fait : sa perte nette de pouvoir d'achat dépasse les 400 euros annuels. Et cela va continuer.

Le quotidien de Stéphanie est le même que celui de millions de Français. Mais il est à des années lumières du quotidien de ceux qui sont sensés agir au nom du bien commun, qui ne connaissent de la France que sa frénésie urbaine et ses cartes postales de campagnes.

Certes, l'argument utilisé par les pouvoirs publics pour justifier l'augmentation de la fiscalité sur les carburants est noble : il s'agit de sauver la planète et d'accélérer la transition écologique. Je souscris pleinement à cet objectif. Mais je condamne fermement la méthode employée.

Inciter la population à opter pour les transports en commun, le vélo ou la trottinette électrique peut s'entendre dès lors que l'on habite en ville. Mais qu'en est-il du cas de Stéphanie, qui parcourt 4 fois par jour le trajet de Saint-Maximin-La-Sainte Baume dans le Var, à Meyreuil dans les Bouches-du-Rhône ? Faut-il lui recommander de quitter sa campagne et de s'installer à Marseille ou à Toulon, ou il lui suffira de «traverser la rue» pour trouver un autre emploi de serveuse dans la restauration ? Si tel est le cas, cela accréditerait l'idée que ce gouvernement veut casser la France rurale, et promouvoir une société urbaine déracinée et nomade.

Faut-il plutôt encourager Stéphanie à s'équiper d'une voiture électrique ? Propriétaire de son véhicule diesel depuis 3 ans, Stéphanie doit encore 2 ans de remboursement de crédit. Et quand bien même voudrait-elle faire l'acquisition d'un véhicule électrique, la distance quotidienne qu'elle réalise l'obligerait à choisir une gamme qui est à ce jour hors de son budget.

S'agissant du véhicule électrique, le raisonnement mérite d'être approfondi. En effet, le fonctionnement des batteries électriques nécessite des métaux précieux. Or il se trouve que ces métaux sont extraits essentiellement par la Chine dans des conditions écologiques désastreuses. En conséquence, l'empreinte carbone d'un véhicule électrique (sur l'ensemble de son cycle de vie) est aujourd'hui comparable à celle d'un véhicule thermique. C'est ce qu'affirme Guillaume Pitron, auteur de l'excellent livre «la guerre des métaux rares».

Pourquoi donc punir le conducteur Français, sachant que la contrainte qui lui est imposée ne résout fondamentalement aucun problème écologique, mais ne fait que le déplacer de l'autre côté du globe ?

Abandonner la dépendance au pétrole et aux pays de l'OPEP, pour la troquer contre une dépendance aux métaux précieux et à la Chine est irresponsable. Une politique écologique pragmatique consiste donc à agir en amont sur la question des métaux rares. C'est la raison pour laquelle la France doit trouver le moyen d'extraire ces métaux précieux de manière responsable, de sorte à pouvoir recouvrer la «souveraineté minérale» qu'elle a perdu. Telle est la condition d'une transition écologique réelle et ambitieuse.

Compte tenu de ce qui précède, j'affirme qu'aucune raison valable ne saurait justifier la hausse sur le prix du carburant, sinon un racket organisé par la puissance publique pour financer des promesses électorales intenables, et pour compenser l'absence de réformes de structures de l'appareil d'état.

La colère de nos compatriotes est donc amplement justifiée. Les autorités doivent l'entendre. Des décisions doivent être prises.

Il y a dans la montée du prix des carburants quelque chose qui s'apparente à la flambée des prix du pain en 1788. Un ras-le-bol qui peut à tout moment se transformer en une étincelle. Le président de la République et son gouvernement sont désormais face à leurs responsabilités. Ils doivent se ressaisir. Maintenant. Sans quoi, l'Histoire risquera de les juger sévèrement.

Rafik Smati
Président d'Objectif France et entrepreneur.