Justice : les propositions d'Objectif France

La Justice est aujourd'hui le maillon faible de la politique de sécurité en France. Dans cette note de synthèse pilotée par le Général Bertrand Soubelet, Objectif France livre ses propositions pour une politique de justice efficace et ambitieuse.
Cinq mois après l’annonce par le Président de la République du plan pour la justice où en sommes-nous ?
Marqué à la fois par un manque d’audace et le non respect des engagements pris le plan est au point mort car la dynamique n’existe pas. Ni les magistrats ni l’administration pénitentiaire ne sont enthousiastes pour l’appliquer. Ils sont partagés entre la résignation de subir une énième réforme dont ils savent par avance qu’elle n’apportera rien de plus et la désespérance de ne jamais être écoutés sur les difficultés au quotidien.
Il a révélé en outre une méconnaissance réelle des mesures actuellement pratiquées depuis longtemps notamment pour les peines alternatives car 63 000 peines alternatives sont prononcées chaque année, dont 16 000 peines de travail d'intérêt général.
La disparition des peines inférieures à un mois pourrait être discutée mais une telle mesure reste anecdotique au regard des enjeux de la Justice pour les 20 prochaines années.
Pour ce qui concerne les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) chargés de préparer et d’accompagner les personnes libérables et libérées, l’annonce des 1500 personnels supplémentaires est une fausse annonce car ce chiffre est avancé depuis 2014 et jamais réalisé. Or l’urgence est là et la rénovation des structures des SPIP ainsi que la réévaluation de leurs moyens sont incontournables et d’une urgence avérée en particulier pour prévenir la récidive.
En ce domaine un point d’attention important est celui du possible remplacement des agents SPIP par des contractuels non formés dans une seule approche d’économies budgétaires. Ce serait une grave erreur.
L’annonce d’une agence du travail d’intérêt général est intéressante mais pourrait se heurter à la difficulté des structures pyramidales capables de mettre en œuvre des schémas inadaptés en fonction des contextes locaux.
Les travaux d’intérêt général sont une alternative à la peine classique mais au delà de cette agence il convient surtout de répertorier et de mobiliser les associations et les collectivités territoriales pour accueillir les condamnés aux travaux d’intérêt général (TIG).
Tout l’enjeu est là en espérant qu’il sera dans le périmètre d’attributions de cette agence.
La disparition du juge de l’application des peines ne présente pas de difficultés et c’est plutôt une bonne nouvelle pour des raisons de cohérence dans l’exécution des peines même si les magistrats sont partagés sur cette question. En revanche il est essentiel de ne pas laisser l’Administration Pénitentiaire en première ligne sur la question de l’aménagement des peines qui doit rester une attribution judiciaire.
Le principe d’une commission spécialisée par Cour d’Appel avec des magistrats qui ont quitté l’institution depuis moins de cinq ans est une solution professionnelle et peu onéreuse.
Le véritable danger des annonces du Président concerne la capacité d’incarcération. Elle ne peut pas devenir le centre des enjeux de Justice dans notre pays. Il serait irresponsable de définir notre politique pénale et l’échelle des peines en fonction du nombre de places dans nos prisons. C’est pourtant ce qui semble se produire.
Au 1er janvier 2018, 68 974 détenus s’entassaient dans 59 765 places. Le déficit estimé est de 30 000 places au minimum. La Grande Bretagne qui compte une population équivalente à la notre compte 90000 places. Ces 30000 places qui manquent permettraient notamment de mettre un terme à la surpopulation carcérale et de reconstruire des établissements d’un autre âge.
Or le Président a annoncé la construction de 7 000 places soit moins de la moitié des 15 000 annoncées dans son programme.
C’est un choix désastreux car les conditions dans lesquelles sont incarcérés une grande partie des détenus sont indignes d’un pays comme le notre. Il suffit de reprendre sur ce thème le dernier rapport de la Contrôleure Générale des lieux de privation de liberté.
Par ailleurs c’est ignorer les conditions de travail des surveillants de l’Administration Pénitentiaire. Environ 7000 à 8000 des places de prison prévues initialement avaient simplement pour objectif de mettre un terme à une situation dégradée à l’intérieur des établissements.
Nous ne pourrons pas être au rendez vous pour les dix ans à venir ce qui est une faute grave au plan humain et éthique.
Cette annonce est finalement la justification maladroite d’une absence de vision des enjeux réels pour la Justice et la confirmation des choix budgétaires catastrophiques dans le budget du ministère de la justice en 2018. 80 % des options prises par le gouvernement précédent sur l’achat de terrains destinés à la construction des prisons ont été abandonnées.
L’Etat doit mobiliser les moyens budgétaires nécessaires pour permettre l’administration d’une bonne Justice en donnant aux magistrats la capacité d’incarcérer lorsque c’est nécessaire et pas seulement lorsqu’il y a de la place.
Mais la peine de prison n’est pas forcément en 2018 la réponse la plus adaptée à la délinquance. Des peines alternatives existent et elles sont pratiquées à une échelle perfectible.
L’emprisonnement lorsqu’il est nécessaire peut revêtir des formes moins « classiques », moins exigeantes en termes d’installations. Dans ces conditions il nous faut imaginer un type d’enfermement plus « léger ».
Les condamnés à de courtes peines et peu dangereux pourraient être « enfermés » dans des bâtiments appartenant à l’Etat réaménagés (anciennes casernes par exemple) voire même dans des établissements dans lesquels seraient installés des structures modulaires plutôt légères.
Ce serait une forme d’emprisonnement différente dans un environnement moins austère. C’est une alternative à l’emprisonnement classique qui remplit le même office mais qui présente des coûts d’investissement 5 à 6 fois moindres.
C’est également une solution pour pallier le manque de places en ne pesant pas trop sur le budget d’investissement de l’Etat.
Enfin, en 2018 la peine de prison ne constitue plus forcément la réponse la plus adaptée à la délinquance de masse. La forfaitisation de certains délits en matière de stupéfiants est une excellente mesure. Encore faut-il que les amendes soient recouvrées.
Mais cette logique doit être globalisée et étendue à l’ensemble du contentieux des délits d’appropriation tout particulièrement pour traiter l’économie souterraine les trafics et les fraudes de toutes natures. Il est désormais beaucoup plus efficace de saisir et confisquer les biens acquis grâce aux activités délictueuses. La condamnation à la saisie définitive de tous les biens issus de la délinquance doit devenir la règle dans le prolongement de la loi votée en 2010.
C’est une démarche audacieuse en phase avec les propos du Président de la République qui souhaite « sortir d’une philosophie dans laquelle on a tout pensé par la prison ». « L’emprisonnement ne cesse d’augmenter parce qu’au fond cela reste la solution qui contente symboliquement le plus de monde ».
L’approche que nous proposons n’exclut pas la prison notamment pour les crimes et délits d’atteintes aux personnes mais constitue une alternative pragmatique efficace, et un signe encourageant pour la majorité silencieuse qui voit vivre des individus officiellement sans revenus avec un standing hors du commun.
C’est un changement de paradigme mais il est bien plus efficace d’assortir la liberté de certains délinquants à des cautions importantes et de procéder à la saisie des biens. Cette sanction est bien plus dissuasive qu’une longue peine de prison. Elle est déjà pratiquée par certains magistrats spécialistes du contentieux économique et financier mais devrait être étendue y compris à tous ceux qui ont des biens et un niveau de vie qu’aucun revenu ne justifie.
Ainsi dans cette optique, plutôt que de créer une police fiscale qui ne présente pas d'autre d'intérêt que de multiplier les services compétents et de segmenter l'action de la justice nous proposons la mise sur pied d’une Agence Nationale Anti-Fraude (ANAF).
Dotée de plusieurs centaines d’agents de l’Etat provenant de divers ministères (intérieur, Économie et finances, Justice ) et d'organismes sociaux elle sera placée sous la responsabilité du ministère de l’Economie. Elle aura une compétence nationale sur l’ensemble du contentieux de la fraude y compris fiscale et sera le bras opérationnel de la direction nationale de lutte contre la fraude. Une partie du produit des affaires résolues par l’agence sera utilisée pour financer les rémunérations et charges sociales des personnels ainsi que la totalité du budget de fonctionnement.
L’ANAF deviendrait en amont de l’AGRASC (Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués) le contributeur majeur dans la lutte contre la fraude.
Un domaine essentiel qui n’est pas traité par les projets de l’exécutif concerne la délinquance des mineurs et jeunes majeurs. Cette question est centrale.
La capacité de traitement des mineurs entre 12 et 18 ans et des jeunes majeurs jusqu’a 25 ans est dramatiquement sous dimensionnée.
Les établissements, CEF (centres éducatifs fermés) et CER ( centres éducatifs renforcés) ne sont pas en nombre suffisant (moins de 130 recevant chacun 8 jeunes) et méritent une véritable politique volontariste. Leur nombre doit être significativement augmenté et leur capacité d’accueil également. Notre pays doit être en mesure d’accueillir dans de tels centres au moins 2500 jeunes en difficulté pour des périodes longues (six à douze mois). Par ailleurs les centres éducatifs renforcés doivent prendre un autre dimension en termes de missions (éloignement), d’objectifs et de moyens avec un financement privé en partenariat.
Enfin une grande réforme du code de procédure pénale doit être entreprise qui permette désormais pour certains contentieux simples de s’affranchir de la culture du papier et de favoriser les auditions filmées.
Parallèlement les questions de compétence territoriale des enquêteurs doivent être définitivement abandonnées au profit d’une compétence nationale dès l’obtention du diplôme d’officier de police judiciaire.
Nous formulons donc cinq propositions concrètes de nature à améliorer l’administration de la justice et le quotidien sur le terrain.
1- La construction de 7000 places « d’enfermement » en particulier pour des peines légères ou des détenus en régime de semi liberté. Créées à partir d’emprises domaniales réaménagées et de structures modulaires à moindre coût.
2- La généralisation de cautions financières importantes et de peines de saisies d’avoirs et de biens acquis de manière frauduleuse en lieu et place de la prison.
3- La création d’une agence nationale anti fraude
4- La remise en perspective du dispositif de réponse à la délinquance des jeunes
5- Une simplification du code de procédure pénale en matière de droits et de rédaction des procès verbaux d’enquêtes mais également de compétence territoriale.
Ces propositions qui constituent infléchissement significatif au regard des pratiques actuelles doivent reposer sur la remise en perspective du fonctionnement quotidien dans un triple objectif :
- Désencombrer les juridictions
- Rendre la justice plus rapidement mais sans précipitation
- Rétablir le lien de confiance entre les Français et la fonction judiciaire
Car une bonne administration de la Justice est le socle de l’harmonie sociale et du sentiment d’être véritablement protégés par la société.
Comme le résume parfaitement Pascal dans les Pensées : « Il faut donc mettre ensemble la justice et la force, et pour cela faire que ce qui est juste soit fort ou que ce qui est fort soit juste ».