« Prélèvement à la source : simplification, vraiment ? » - Eugène Daronnat

Le prélèvement à la source devrait entrer en vigueur le 1er Janvier 2019. Dans cette tribune, Eugène Daronnat, membre du Comité Stratégique d'Objectif France explique les raisons pour lesquelles cette réforme technique est une fausse bonne idée.
Après avoir été repoussé d’un an, le prélèvement à la source va entrer en vigueur à partir du 1er janvier 2019. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la tension monte.
Le mode de prélèvement change, pas l’impôt
Le prélèvement à la source comme son nom l’indique est une disposition qui permet de modifier le mode de prélèvement de l’impôt sur le revenu en synchronisant la perception des revenus et la collecte de l’impôt. C’est son principal objectif.
La France est jusque-là un des derniers pays occidentaux à ne pas prélever l’impôt sur le revenu à la source, avec également nos voisins helvétiques. Oui mais voilà, cette mesure qui devrait être plébiscitée par tout le monde, visant à une plus grande simplification va en réalité produire des effets totalement contraires.
Si la France est l’un des derniers pays à ne pas avoir encore appliqué le prélèvement à la source pour l’impôt sur le revenu, c’est que nous possédons un savoir-faire que beaucoup de pays nous envient : la complexité de notre fiscalité !
Le système fiscal français ressemble à une raquette dont le tamis est parsemé de trous. Les taux d’imposition sont très élevés, mais il existe un nombre de dispositifs quasiment incalculables permettant de faire baisser cette fiscalité via des crédits ou des réductions d’impôts. Dans un système fiscal simple et lisible, le prélèvement à la source serait donc facile à mettre en place. Mais en France, la simplification annoncée va venir se heurter à la complexité de notre système fiscal, au risque de se transformer en poudre de perlimpinpin.
L’impôt sur le revenu ne sera pas prélevé à la source
Il faut le dire et le répéter : avec cette réforme, le système d’impôt sur le revenu ne sera pas plus lisible et en réalité, l’impôt ne sera pas prélevé à la source ! Pourquoi ?
Chaque contribuable verra chaque mois son salaire directement amputé de l’impôt sur le revenu sans qu’il y ait de décalage, mais ce dernier devra cependant toujours réaliser une déclaration de revenus chaque année, pour prendre en compte la complexité du calcul du taux d’imposition, lié à la situation du foyer fiscal (revenus fonciers, situation familiale...).
Surtout, si auparavant les aides fiscales étaient déduites directement du paiement de l’impôt, le prélèvement à la source créera désormais un décalage, au détriment du contribuable !
Si vous bénéficiez par exemple d’une aide fiscale pour l’emploi d’un salarié à domicile, vous devrez à partir de Janvier 2019 payer pleinement votre impôt sur le revenu avant de vous voir rétrocéder cette aide fiscale (ou crédit d’impôt) à l’occasion d’une régularisation dans le courant de l’année... 2020 !
En étant prélevé à la source sur votre impôt sur le revenu, vous allez donc tout simplement avancer de la trésorerie à l’Etat français... Alors, toujours convaincu du choc de simplification ?
Un coût réel pour les entreprises
Au-delà de cette avance de trésorerie faite à l’Etat, ce dernier va tout simplement déléguer la collecte de l’impôt à un tiers, qui sera dans la majorité des cas l’entreprise. Il faut le dire, c’est proprement scandaleux ! Les entreprises n’ont pas à lever l’impôt, c’est le rôle de l’Etat ! Leur rôle est de créer de la valeur et cette réforme va créer une incertitude et une complexité en leur sein, avec parfois le risque de tensions sociales liée à des incompréhensions qui seront légitimes, et surtout un coût qui est estimé à 125€ par salarié dès la première année pour les petites entreprises. Le coût global de la mise en place de ce dispositif pour les entreprises est lui évalué à 300–400 millions d’euros par le gouvernement pour 2019, et jusqu’à 1 milliard pour les associations d’entreprises. N’avait-on pas mieux à faire ?
Dans le coût imputé aux différents acteurs, on mentionnera juste le fait que ce prélèvement à la source risque d’être un cauchemar pour les indépendants, les artisans, les particuliers-employeurs... Ces derniers ont d’ailleurs obtenu un sursis d’un an tellement la réforme était mal embarquée.
Ce que cache le prélèvement à la source
Si l’objectif affiché par le gouvernement est de simplifier l’imposition des français, il existe deux objectifs qui ne sont pas assumés politiquement mais qui sont directement liés à cette réforme.
Tout d’abord, le prélèvement à la source va certainement signifier la fin de la familiarisation et de la conjugalisation de l’impôt. L’impôt sur le revenu étant prélevé directement sur les salaires, il n’y aura plus d’obstacles à l’individualiser. C’est un choc culturel qui s’annonce, tant la notion de « foyer fiscal » est aujourd’hui déterminante pour la France, en tant que choix de société visant notamment à préserver la structure familiale et le dynamisme démographique qui est le nôtre.
Le deuxième objectif pour le gouvernement sera de fusionner l’impôt sur le revenu et la CSG qui seront de facto tous deux prélevés à la source. La CSG ne tenant pas compte de la familiarisation de l’impôt, cette réforme sera le pendant de la fin de la familiarisation de l’impôt sur le revenu.
Oui mais voilà, la CSG est aujourd’hui un impôt proportionnel (même taux pour tout le monde) quand l’impôt sur le revenu est progressif (plus je gagne, plus je paie). L’objectif de cette réforme est de créer un nouvel impôt citoyen « progressif ». Les effets seront alors les mêmes que pour l’impôt sur le revenu actuel : il rapporte très peu et il est très mal vécu par ceux qui le paient car ils sont peu nombreux. Comme le faisait remarquer Nicolas Doze, ce nouvel impôt sera une « machine à exporter les talents par le revenu ». La socialisation de l’économie est donc définitivement en marche.
Oui aux vraies priorités fiscales
Cette réforme du prélèvement à la source apparait donc comme beaucoup de réformes actuelles relever de l’idéologie, bien loin du « pragmatisme » et de la « transformation » de la France mis en avant par le gouvernement. Il nous faut revenir aux vraies priorités fiscales.
Les risques sont trop importants pour que le prélèvement à la source soit appliqué en janvier 2019. Il faut donc repousser l’entrée en vigueur de cette réforme. Pourquoi ne pas imaginer d’ici là un « scénario B » où la mensualisation de l’impôt serait par exemple rendue obligatoire dès 2019 ? Des scénarios ont été envisagés, notamment par le Sénateur Albéric de Montgolfier et la CCI de Paris mais le gouvernement ne semble pas prêt à envisager une autre piste.
La priorité doit être de réduire la complexité de la fiscalité française avant de penser au changement du mode de prélèvement. Encore faut-il penser la France dans 20 ou 30 ans ! Le vrai scandale de la fiscalité française n’est pas le décalage d’un an entre les revenus et l’imposition, mais l’effritement constaté du consentement à l’impôt, qui est un fondement de la citoyenneté. Pour rendre l’impôt accepté par tous, il faut tout d’abord le rendre payé par tous ! Et la politique des gouvernements précédents a été de continuellement sortir des français de l’impôt, notamment sous François Hollande. Résultat : 57,2% des foyers fiscaux ne paient pas l’impôt sur le revenu !
Emmanuel Macron contribue à cette déresponsabilisation en supprimant progressivement la taxe d’habitation, qui va couper le lien entre les français et les collectivités locales. Pour des mesures électoralistes de court-terme, nos dirigeants sacrifient donc l’avenir de notre pays, et les français ne savent plus pourquoi ils paient des impôts. Ces impôts, diffus dans la fiche de paie, nous laissent un goût amère partagé par Rafik Smati :
« L’Etat français n’est plus dirigé, il est administré par des technocrates... »
Eugène Daronnat Membre du comité stratégique d'Objectif France