Honneur à « la quatrième génération du Feu » - Par le Général Pinatel

Sur les cent dernières années, 4 générations se sont succédées au Feu et ont fait la grandeur des armes de la France. A l'occasion du 14 Juillet, le Général (2s) Pinatel, responsable du pôle Défense d'Objectif France, rend un hommage particulier à « la quatrième génération du Feu »
Le 14 juillet 2018 est l’occasion de rappeler que depuis 50 ans des soldats français se battent, meurent ou sont blessés pour défendre les intérêts stratégiques de la France sur les théâtres extérieurs de l’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie centrale. Durant ces 50 années d'OPEX, 630 soldats, sous-officiers et officiers sont morts pour la France et plus de 6000 autres ont été blessés, dont certains polytraumatisés physiques sans compter les personnels atteints de post-traumatismes psychiques. Ils constituent la quatrième génération du feu.
Les actions extérieures qui furent les plus couteuses en tués et blessés se situent au Tchad où nous sommes intervenus 6 fois depuis 1968 pour nous opposer aux visées de Kadhafi puis des djihadistes et où 158 militaires français ont été tués. Citons le premier combat meurtrier de ces cinquante années d’OPEX qui survint entre Bédo et Kerdini au Tchad en octobre 1970 où 12 parachutistes furent tués et 25 blessés dans la compagnie commandée par le capitaine Canal et par le lieutenant Neau. Au Liban où la France est intervenue pour s’interposer entre factions et sur la frontière avec Israël dans le cadre de la FINUL nous avons perdu 150 hommes. Ces opérations furent notamment endeuillées par l’attentat du Drakkar où 58 parachutistes, appartenant en majorité à la 3ème compagnie du 1er RCP, furent tués en octobre 1983. Et aussi en ex-Yougoslavie où nous avons perdu 110 hommes et en Afghanistan 92.
Ces opérations les plus importantes ne doivent pas faire oublier la multitudes d’autres actions plus ou moins ponctuelles menées au titre d’accords bilatéraux de défense en Centrafrique, au Zaïre et en République démocratique du Congo, à Djibouti, au Cameroun, au Rwanda, aux Comores, au Mali, au Gabon, et au Togo ou avec un mandat de l’ONU comme en Libye.
Certes, c’est l’armée de terre qui a supporté durant ces 50 années d’OPEX la presque totalité des pertes mais ces missions se sont toujours effectuées dans un cadre interarmées et la conduite des opérations ainsi que la survie de nombreux de nos blessés n’aurait pas été possible sans l’aide et la prise de risque des autres armées. C’est pour cette raison que je voudrais citer trois opérations qui sont exemplaires de la capacité de nos forces à concevoir et à exécuter des opérations interarmées particulièrement ingénieuses, notamment lorsqu’il s’agit de libérer des otages français.
C’est l’opération Bonite au Zaïre avec le parachutage le 19 et le 20 mai 1978 du 2ème REP commandé par le colonel Erulin qui libéra 2800 otages des rebelle katangais au prix de 5 morts et d’une dizaine de blessés.
C’est aussi l’opération Lamantin qui fut strictement aérienne et le fruit d’une coopération exemplaire entre l’armée de l’air et la marine. Elle se déroula entre décembre 1977 et juillet 1978 en Mauritanie, pendant le conflit du Sahara occidental. La France est intervenue à la demande du gouvernement mauritanien pour repousser le Front Polisario qui était sur le point d’interrompre l’acheminement du minerai de fer de Zouérate au port de Nouadhibou, seule ressource de ce pays. Le Polissario commis l’erreur à Zouérate de s’en prendre directement aux intérêts de la France en tuant 2 coopérants français et en enlevant 8 autres. Le mode opératoire fut particulièrement ingénieux car il consista à repérer les colonnes du Polisario au moyen des radars des avions Breguet Atlantic de la marine, destinés à détecter les périscopes des sous-marins, le sable du désert du Sahara remplaçant l’océan Atlantique, puis à faire intervenir des Jaguars stationnés à Dakar. Les 12, 13 et 18 décembre 1977, les avions français détruisent entièrement deux colonnes d'une cinquantaine de véhicules du Front Polissario. Boumediene jeta l’éponge. Les otages français furent libérés le 23 décembre 1977.
Et enfin, l’opération Serval où avec de faibles moyens, le général Bernard Barrera, par une action aéroterrestre audacieuse qui a fait l’admiration de toutes les armées du monde, a mis en déroute les djihadistes qui occupaient la moitié du Mali et a rétabli en trois mois l’autorité du gouvernement malien sur la totalité de son territoire au prix de 9 soldats tués.
Ces actions extérieures ont permis à l’armée française de confirmer sa valeur militaire faite de combattants agressifs, rustiques et de chefs ingénieux sachant prendre des risques tactiques audacieux : ainsi, au cours de ces cinquante ans, nous avons été la seule armée du monde à avoir utilisé trois fois la mise au sol de forces par parachutage en plein dispositif ennemi.
Ainsi dans les cent dernières années, 4 générations se sont succédées au feu et ont fait la grandeur des armes de la France. Les héroïques soldats de la première guerre mondiale, qui sont tous éteints, constituent la première génération du feu ; chaque village de France possède un monument aux morts qui rappelle leur mémoire. La seconde génération du feu désigne les soldats de la guerre 39-45 dont les rares derniers survivants peuvent encore témoigner du sacrifice de leurs camarades.
La troisième génération du feu est celle de la guerre d’Indochine et d’Algérie dont je suis un des plus jeunes représentant, ayant été blessé en février 1961 dans les Aurès à l’âge de 22 ans.
Ces trois générations ont été honorées par la France qui leur a témoigné sa reconnaissance.
Aussi il apparait nécessaire à l’occasion de cet anniversaire des cinquante ans d’OPEX de donner toute sa place à cette nouvelle et quatrième génération du feu afin qu’ils bénéficient d’une meilleure prise en compte dans les actions de solidarité et la politique mémorielle.
Le monument aux morts dédié aux OPEX qui doit être érigé dans le XVème arrondissement de Paris dans les jardins de la sous-lieutenante Eugénie-Malika Djendi des services spéciaux parachutée et morte déportée à Ravensbrück, devrait en constituer le premier acte.
Général (2s) Jean-Bernard Pinatel Responsable du pôle Défense d'Objectif France